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NOUVELLE / Ce que j’ai trop donné aux autres

Dernière mise à jour : 2 oct.

Quand la honte prend corps : la renaissance d’Émilie

Une Nouvelle de Gyl Falco


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Chapitre 1 JE NE VEUX PAS ETRE UN POIDS


Émilie relut le message, les doigts crispés sur son téléphone. « Vendredi soir, je fais un petit apéro à la maison, si ça te dit ! Rien de formel, juste entre collègues 🙂 »


C'était Manon. Toujours elle. Spontanée, rayonnante, chaleureuse jusqu’au bout des doigts. Le genre de femme qui illuminait une pièce sans rien forcer. Elle faisait des cœurs dans ses mails, lançait des “Coucou toi !” dans les couloirs, et posait naturellement sa main sur ton épaule quand elle te parlait.


Émilie, elle, était tout le contraire. Elle avait appris à ne pas déranger. À ne pas prendre trop de place. Elle souriait avec douceur, mais rarement avec éclat. Sa voix était posée, basse, presque ouatée, comme si elle cherchait à ne pas heurter l’air autour d’elle. Elle disait souvent “je sais pas trop…” ou “je vais voir…”, comme si affirmer un choix était une forme d’arrogance.


Ce jour-là, elle fixa longtemps l’écran. Son pouce flottait au-dessus du clavier tactile. Elle n’avait rien de prévu. Pas de rendez-vous, pas d’engagement. Mais une peur, sourde et familière, lui serrait la poitrine. Elle imagina la soirée : les rires qui fusent, les échanges spontanés, les petits groupes déjà formés. Elle se vit chercher sa place, rire trop fort pour se faire accepter, baisser les yeux pour éviter de déranger.


Alors elle écrivit : « Merci c’est gentil ! Mais j’ai déjà un truc ce soir-là. Une autre fois peut-être 😊 ». Elle posa le téléphone à côté de son bol de tisane tiède. Elle soupira. Et tout son corps sembla s’enfoncer un peu plus dans le silence du salon.


Émilie vivait seule depuis presque une décennie. Un appartement discret au dernier étage d’un vieil immeuble aux escaliers grinçants, un chat nommé Miso qui passait sa vie roulé en boule sur les coussins, et des étagères pleines de livres qu’elle ne prêtait jamais — par peur qu’on ne les lui rende pas, ou qu’on les abîme.


Elle avait quarante ans. Rousse, avec une peau pâle constellée de taches de rousseur, et des joues qui rougissaient au moindre mot un peu direct. Son corps était doux, enveloppant. Des bras un peu ronds, un ventre souple, des cuisses pleines. Elle rentrait toujours le ventre quand elle traversait une pièce remplie de monde, par automatisme. Elle savait qu’elle avait quelque chose. Une beauté discrète. Une tendresse dans le regard. Mais elle n’y croyait pas. Elle avait appris à composer avec ce corps qu’on lui avait décrit comme "trop" dès l’enfance. Trop gourmande. Trop de formes. Trop de présence. Alors elle s’était retranchée. Et à force, elle avait perdu la clef de son propre espace.


Elle travaillait comme assistante de direction dans un collège privé. Douze ans de service. Un rôle en retrait mais central. On la surnommait “la mémoire du lieu”. Elle savait tout : les absences, les dates clés, les lubies des professeurs. On l’aimait bien. On comptait sur elle. Mais personne ne lui demandait jamais si elle allait bien. Pas vraiment.


Dans la salle des profs, elle souriait, servait le café, notait les anniversaires. Elle préparait les pots de départ, achetait les cartes, collectait les signatures. Elle veillait à tout, dans l’ombre. Et quand venait la photo d’équipe, elle se plaçait toujours au bout, comme par réflexe.


Elle repensa à ce souvenir lointain, un dîner de famille, des années plus tôt. Elle avait osé prendre la parole avec entrain, raconter une anecdote de collège, rire plus fort que d’habitude. Sa mère, sans même lever les yeux de son assiette, avait posé la main sur son bras et dit sèchement : « On t’entend, Émilie. Tu pourrais parler un peu moins fort, tu n’es pas toute seule. »


Ce n’était pas une injonction violente. Mais c’était une coupure nette. Depuis ce jour, elle avait appris à baisser le ton. À ne pas imposer sa voix. À se faire minuscule. Elle ne voulait pas être celle qui pèse, qui dérange, qui prend trop.


Ce soir-là, elle mangea une soupe réchauffée, en silence. Le bol posé sur ses genoux, le chat ronronnant doucement. Elle regardait les ombres danser sur le plafond, la lumière du lampadaire glisser sur la bibliothèque. Et elle se demanda — pas pour la première fois — ce que ça ferait, de dire « oui ». Pas par politesse. Pas pour faire plaisir. Mais parce qu’elle en avait envie.


Et au fond d’elle, une phrase monta. Une phrase ancienne, familière. « Je ne veux pas déranger. » Elle la murmura sans s’en rendre compte. Comme un serment qu’on ne sait plus comment rompre.


Cette nuit-là, elle rêva qu’elle était dans une pièce pleine de monde. Elle voulait parler. Mais aucun son ne sortait de sa bouche. Et autour d’elle, tout le monde riait, sans la voir.


Chapitre 2

JE M'EN VEUX DE PENSER A MOI


Le rendez-vous était calé depuis trois semaines. Un ostéopathe recommandé par sa collègue Diane. Spécialisé dans les douleurs chroniques, paraissait-il. Elle l’avait noté dans son agenda en lettres discrètes, comme pour ne pas attirer l’attention sur ce moment qui, pourtant, était pour elle. Rien que pour elle.


Depuis quelques mois, une tension sourde lui barrait le bas du dos. Elle avait consulté son médecin, qui avait évoqué le stress, l’accumulation, les postures inadaptées. Mais au fond, elle savait. Ce n’était pas qu’un problème de chaise ou de matelas. C’était plus profond. Comme un nœud. Un poids silencieux qu’elle portait depuis trop longtemps sans jamais vraiment le poser.


Ce matin-là, elle se leva avec l’envie ténue, fragile, d’honorer ce rendez-vous. C’était rare. Alors elle décida de la suivre. Elle prépara ses affaires, choisit une tenue confortable, un gilet doux qu’elle gardait pour les jours où elle voulait se sentir un peu mieux. Elle prépara même une petite bouteille d’eau, ajouta un livre dans son sac — au cas où elle arrive en avance —, et se dit que cette fois, elle allait s’écouter.


À 8h10, un message. Julie. Une amie de longue date. Gentille, drôle, envahissante. Une tempête d’émotions à elle toute seule.


"STP j’ai besoin de toi, je gère plus rien ce matin, je vais péter un câble 😩 !!! Est-ce que tu peux venir ? Je dois déplacer deux étagères, c’est trop lourd et j’ai mal au dos. Dis oui je t’en supplie ! ❤️"


Émilie fixa l’écran. Son estomac se contracta. La petite lumière en elle, celle qui voulait prendre soin d’elle aujourd’hui, vacilla.


Elle pensa à sa douleur à elle. À cette raideur qui l’empêchait de dormir certaines nuits. À cette envie de s’allonger sur une table, de respirer, de se laisser porter par les mains d’un professionnel.

Mais une autre voix, plus forte, plus ancienne, surgit dans son esprit : « Tu ne peux pas dire non. Elle compte sur toi. Ce n’est qu’un rendez-vous. Ce n’est pas si grave. Elle, elle est vraiment en galère. »


Elle soupira. Ses doigts tapèrent presque malgré elle : “Ok, j’arrive vers 10h.”


Elle ajouta, à voix haute, comme pour se convaincre : — Je reprendrai un autre créneau… plus tard.


Mais elle savait. Elle savait qu’elle ne le ferait pas. Elle savait qu’elle venait de se reléguer, une fois de plus, en fond d’écran de sa propre vie.


À 10h, elle était chez Julie. Les bras chargés de sacs plastiques, pliée en deux pour soulever les cartons. Julie parlait vite, vidait sa colère sur le monde, son ex, les meubles, les voisins, la météo. Émilie hochait la tête, portait, vidait, triait, rangeait.


Une fois, Julie lui lança : — Franchement, je sais pas ce que je ferais sans toi !


Émilie répondit avec un sourire figé : — C’est normal. Je suis là…


Mais au fond, elle se sentait absente. Vidée.


Elle n’avait pas faim. Pas froid. Juste une grande lassitude. Comme si, en renonçant à ce moment pour elle, elle avait aussi renoncé à exister un peu plus fort.


Sur le trajet du retour, son dos lui lança un rappel violent. Une décharge dans les lombaires. Elle s’arrêta sur un banc, posa son sac à côté d’elle. Ferma les yeux. Respira. Lentement. Elle sentit les larmes monter. Mais comme toujours, elle les ravala. Ce n’était pas le moment. Ce n’était jamais le moment.


Arrivée chez elle, elle retira ses chaussures lentement. Elle n’avait plus d’énergie. Elle s’allongea sur le canapé, la main posée sur son ventre. Elle sentit un nœud, là, bien enfoui. Une douleur sourde. Une fatigue ancienne.


Elle se souvint d’une scène. Elle avait huit ans. Elle était malade. Sa mère lui avait apporté un sirop, du bout des doigts.


— Fais pas trop d’histoires, Émilie. Y’a plus grave, hein ?


Elle avait intégré cette phrase comme une loi. Ne pas se plaindre. Ne pas faire de vagues. Ne pas se faire passer avant. Jamais.


Ce soir-là, elle alluma une bougie. Prépara une tisane. Et pour la première fois, elle parla à haute voix dans le silence de son salon :

— J’ai mal. Et j’existe. Même si personne ne me le rappelle.


Puis elle ajouta, en posant les mains sur son ventre douloureux :

— Je suis désolée. Je t’ai laissé tomber.


Et dans le regard de Miso, son chat, elle vit une forme d’approbation silencieuse. Comme si cette petite bête savait déjà ce qu’elle venait de commencer à apprendre :

Penser à soi, ce n’est pas un luxe. C’est une réparation.

 

Chapitre 3 CE N'EST PAS SI GRAVE, IL Y A PIRE


Chaque lundi matin, l’équipe pédagogique du collège se retrouvait en salle des profs pour un rituel instauré par la direction : le "tour de météo". Un petit cercle de parole, cinq minutes à peine, où chacun disait un mot, une phrase, une humeur du jour. L’idée était louable : créer du lien, vérifier que personne ne s’effondrait en silence.

Émilie trouvait l’exercice angoissant.


Ce matin-là, elle s’installa, son mug de thé serré entre les mains. Autour d’elle, les visages étaient encore froissés par le week-end. Julie — une autre — déclara qu’elle était "sous l’eau mais motivée". Alain, toujours sarcastique, déclara : "J’ai survécu à l’anniversaire de ma belle-mère, donc je me sens invincible."


Émilie, elle, avait mal dormi. Une nuit entrecoupée, hantée par des rêves où elle courait sans jamais atteindre rien. Elle s’était réveillée avec la gorge serrée et cette fatigue collante, tenace, celle qui ne passe pas avec un café.


Quand son tour arriva, elle leva les yeux, esquissa un sourire : — Ça va… un peu fatiguée, mais rien de grave. Il y a pire, hein.


La phrase tomba dans le silence, neutre, presque invisible. Personne ne releva. Sauf peut-être Manon, qui tourna brièvement la tête vers elle, les sourcils froncés.


Le cercle se referma. On passa à autre chose. Mais en elle, un petit raz-de-marée avait commencé.

En sortant de la salle, elle sentit cette boule familière dans la gorge. Celle des fois où elle aurait voulu dire la vérité : « Je suis à bout. » « J’ai mal partout. » « Je n’en peux plus de porter les autres. »


Mais les mots ne sortaient jamais. Elle les ravalait, les lissait, les emballait dans du papier de soie pour ne pas gêner. Pour ne pas décevoir.


Elle marcha dans le couloir, croisa Diane devant la salle de photocopies.

— Hé, Émilie… — Oui ?


La voix de Diane était douce, mais ferme. Elle s’arrêta, la regarda franchement. — Ce matin, quand t’as dit "rien de grave"… j’ai eu envie de te demander : c’est vrai, ou c’est ce que tu dis toujours ?


Émilie resta figée. Elle eut un petit rire embarrassé. — Non, mais… c’est rien, je suis juste un peu fatiguée. Tu sais, la routine…


Diane ne répondit pas tout de suite. Elle posa doucement la main sur son bras. — Tu sais, tu n’as pas besoin d’aller mal pour mériter d’en parler.


Cette phrase frappa Émilie comme un coup de vent chaud en plein hiver. Elle détourna les yeux, les larmes déjà là, au bord. — C’est gentil… Merci, Diane.


Elles restèrent un instant en silence. Puis, dans un élan presque irréel, Émilie dit : — J’aimerais bien parler. Pas longtemps. Juste un peu.

— Viens, dit Diane. Il y a une salle libre au fond. On sera tranquilles.


Quelques minutes plus tard, elles étaient assises face à face. La pièce était modeste, mais calme. Diane prit le temps.


Émilie chercha ses mots. — Je crois que je suis fatiguée de faire semblant. De dire que ça va alors que… je me sens vide. J’ai mal au dos, tout le temps. Je reporte mes rendez-vous. J’aide tout le monde, tout le temps. Et je me tais, parce que… parce que j’ai toujours fait ça.

Diane écoutait sans rien dire, juste là. Présente. Attentive.


— J’ai l’impression que si je commence à dire que ça ne va pas, je vais m’effondrer. Et que personne ne saura quoi faire de moi.


— Peut-être que tu n’as pas besoin de t’effondrer, répondit Diane. Peut-être que tu as juste besoin d’exister. Même fatiguée. Même pas parfaite.


Émilie hocha la tête, les larmes coulant en silence.


Le soir, chez elle, elle ouvrit son journal. Un carnet à spirales qu’elle n’osait pas remplir trop souvent.


Elle écrivit : « Aujourd’hui, j’ai dit que j’étais fatiguée. Pas à tout le monde. Juste à quelqu’un qui a vu. Et c’était suffisant. Peut-être que je peux continuer. Un peu plus. À dire vrai. Même si ce n’est pas spectaculaire. »


Puis elle ajouta, en bas de la page :

J’ai le droit d’avoir mal, même si d’autres souffrent plus. Ma douleur compte. Mon silence aussi.


Chapitre 4

J'AI HONTE DE MOI


Il y avait des jours où le moindre détail pouvait la faire vaciller. Ce matin-là, ce fut un jean. Un simple jean bleu, lavé mille fois, un peu déformé mais confortable. Elle voulut l’enfiler à la hâte. Et il ne passa pas.


Elle tira. Força un peu. Rien à faire. Le tissu coinçait sur ses cuisses, refusait de monter.

Alors elle s’arrêta, debout devant le miroir. Sa respiration se bloqua. Le cœur battant un peu trop fort pour un lundi matin.


Elle ne s’était pas pesée depuis des mois. Elle évitait la balance comme on évite une sentence. Mais là, devant ce jean récalcitrant, les chiffres se redessinaient dans sa tête comme une condamnation automatique.


Elle leva les yeux vers le miroir de l’entrée. Et ce qu’elle vit… ce n’était pas elle. C’était un corps devenu étranger. Étranger, mais trop familier dans sa douleur.


Son ventre, un peu plus rond. Ses bras, trop blancs, marqués. Ses hanches, qu’elle rentrait instinctivement dès qu’elle se savait observée. Elle se sentit envahie par une vague. Une de celles qui montent sans prévenir et vous submergent d’un coup.


— Quelle horreur…


Elle avait murmuré, à peine. Mais le mot avait résonné dans la pièce comme une gifle.

Elle pensa à son père. À ses remarques soi-disant “humoristiques” qu’elle portait encore, vingt-cinq ans plus tard. — Avec ce que tu manges, faut pas t’étonner.


Elle pensa à sa mère, silencieuse, le regard fuyant quand la douleur était trop visible. Elle pensa à ses quatorze ans. À son corps qui changeait. À la honte qui s’était insinuée comme un poison. Elle pensa à cette jupe qu’elle avait adorée et qu’elle avait cessé de mettre après qu’un garçon ait ri : — On dirait un flan dans du tissu.


Ce matin-là, elle faillit se rendormir. Tout annuler. Se cacher. Mais elle se força. Elle enfila un pantalon large, un pull ample. Elle attacha ses cheveux. Mima le calme.


Dans la salle de bain, elle évita le miroir. Elle baissa la lumière. Elle fit couler un peu d’eau froide sur ses joues. Et elle murmura, entre ses dents : — Allez, fais semblant. Comme d’habitude.


Mais quelque chose en elle résistait. Quelque chose de petit, de fragile, mais de tenace. Une voix. Un souffle. Un refus de continuer à se haïr comme ça.


Alors, avant de partir, elle s’assit sur le lit. Elle sortit son téléphone. Elle chercha le numéro du centre bien-être. Celui qu’elle avait mis en favori depuis trois semaines sans jamais appeler.


Elle appuya sur "composer".

— Bonjour, centre Détente & Soi, je vous écoute ! — Oui… Bonjour. J’aimerais prendre rendez-vous pour un massage. Si possible, cette semaine.


Sa voix tremblait un peu. Mais elle ne raccrocha pas.

— Bien sûr. Vous préférez un massage énergétique ou détente ? — Détente. Je… je voudrais juste qu’on me touche sans jugement.


Il y eut un silence léger. Puis la voix répondit, doucement : — Alors ce sera avec Fatou. Elle a des mains comme des prières. Vendredi à 18h ?

— Parfait. Merci.


Elle raccrocha. Et pour la première fois depuis longtemps, elle sentit une fierté discrète. Une minuscule victoire. Celle d’avoir dit oui à son corps. Même blessé. Même alourdi de honte.


Vendredi arriva. Elle entra dans la pièce, nue sous une serviette, le cœur tambourinant. Fatou lui parla doucement, la guida avec chaleur, sans gêne.


Quand les mains de Fatou effleurèrent son dos, elle se crispa. Puis… elle se laissa faire. Peu à peu. Minute après minute. Comme on dénoue une corde.


Les larmes vinrent. En silence. Sans avertir. Sans douleur. Des larmes d’abandon. De soulagement. De reconnexion.


Après la séance, en se rhabillant, elle se regarda brièvement dans le miroir du vestiaire. Pour la première fois, elle ne détourna pas les yeux. Elle se dit, à voix très basse :

— Je ne suis pas une erreur.


Elle rentra chez elle. Prépara une soupe. Alluma une bougie. Glissa son corps sous les draps sans le mépriser. Et avant de s’endormir, elle posa la main sur son ventre, comme on caresse un animal fragile.


« J’ai honte de moi »… Mais ce soir, c’est un peu moins vrai qu’hier. Et demain, peut-être, ce ne sera plus vrai du tout.

Chapitre 5

JE SUIS TROP


Le fichier avait été créé un soir d’ennui. Ou peut-être d’espoir. Émilie ne savait plus très bien. Il portait un nom maladroit, un brin ironique, comme pour se faire pardonner d’exister : "recettes_pour_filles_qui_n’ont_pas_envie_de_se_priver.docx". Chaque fois qu’elle tombait dessus en cherchant autre chose, elle avait ce petit pincement dans le ventre, ce mélange de fierté inavouée et de honte rampante.


Ce fichier, c’était elle. Un coin d’intimité. Un espace sans censure. Elle y avait glissé, en vrac, des souvenirs de cuisine, des recettes transmises par sa grand-mère, des mots écrits dans un style tendre et plein d’humour.


Mais ce n’était pas vraiment un recueil de cuisine. C’était un autoportrait. Par touches. Par effleurements. Elle y parlait de plaisir, de gourmandise, de ce corps qu’elle avait tant de mal à aimer… mais qui pourtant lui avait permis de goûter, d’aimer, de créer.


Un soir, elle relut le fichier d’un trait. Dehors, il pleuvait. Miso ronronnait à ses pieds, et une bougie diffusait une odeur de pain d’épice. Le crumble poire-chocolat encore tiède embaumait la pièce. Elle avait ce moment à elle. Un de ces instants précieux où le monde semblait moins pesant.


Elle lut. Et à sa propre surprise, elle sourit. Pas parce que c’était parfait. Mais parce que c’était vrai.


Et c’est là que la voix surgit. Cette voix ancienne, incrustée dans sa mémoire comme une salissure indélébile : — Tu es trop.


Trop gentille. Trop molle. Trop naïve. Trop sensible. Trop grosse. Trop moyenne. Trop banale. Trop visible. Trop invisible.


Elle avait tout entendu. Par mots directs, ou par silences assassins. À la maison. À l’école. Plus tard, au travail. Même dans ses relations amoureuses, brèves, timides, avortées avant même d’avoir pu s’épanouir.


Elle se souvint de la fac, de ce garçon au sourire cruel qui avait dit à ses amis, pensant qu’elle ne l’entendait pas : — Elle croit qu’elle a du charme… C’est mignon, un peu pathétique.

Elle n’avait plus jamais osé parler fort après ça.


Et puis il y avait cette amie d’enfance, Élise, qui avait feint l’admiration en disant : — Toi, au moins, t’as pas peur d’assumer ton corps.

Comme si elle portait une transgression, pas une peau.


Mais ce soir-là, devant son fichier, son chat, sa lampe douce et ses miettes de crumble, elle sentit que quelque chose voulait naître. Pas un manifeste. Pas une révolution. Juste un murmure assez fort pour être entendu.


Elle rêvait d’un blog. D’un espace à elle. Où la douceur ne serait pas un défaut. Où la lenteur serait un rythme. Où ses mots, imparfaits et sincères, pourraient toucher, nourrir, guérir peut-être.

Elle se dit : Et si je l’appelais… "Tendre à croquer" ?


Et elle éclata de rire. Un vrai rire. Un peu gêné. Mais joyeux.


Elle ouvrit une page vierge. Écrivit la première recette. Clafoutis poire-chocolat. Simple. Fondant. Un classique revisité à sa manière, avec du sucre roux, de la vanille et une pointe de cannelle. Et surtout, un souvenir associé : sa grand-mère qui disait toujours en servant : "On ne peut pas aimer à jeun."


Puis elle écrivit un texte d’accueil. Hésita longuement. Puis écrivit ça :

"Ce blog est né d’un trop-plein. Trop de silence. Trop de honte. Trop d’envie de dire : j’existe, et j’ai faim. De douceur. De goût. De place. Bienvenue ici."


Elle resta figée devant l’écran. Un doigt suspendu au-dessus du bouton "publier". Elle sentait le battement dans sa gorge, la peur de trop s’exposer.

Et puis… elle cliqua.


Le lendemain, elle en parla à Diane dans un coin tranquille de la salle de pause. — Tu sais, j’ai fait un truc un peu fou. J’ai ouvert un blog. — Sérieusement ? Montre-moi ça ! — Non, attends. C’est pas encore prêt… Enfin, si. Mais c’est pas "pro". C’est juste… moi. — Et ce n’est pas suffisant ?

Émilie sourit. Un vrai sourire. Large. Un peu gêné, mais pas défensif.


Deux jours plus tard, le premier commentaire tomba. Une lectrice inconnue. Une phrase simple : — Merci. On se sent moins seule, en te lisant.


Émilie fondit en larmes. Pas de douleur. De reconnaissance.


Elle avait osé s’écrire visible. Et c’était déjà immense.


Chapitre 6

JE DOIS ME FAIRE PARDONNER D'EXISTER


Ce matin-là, en se brossant les dents, Émilie fut saisie par une mémoire vive, comme un flash revenu des profondeurs. Ce n’était pas un souvenir précis. Plutôt une ambiance, une émotion, une scène floue ramenée par l’odeur du savon et les notes douces d’une vieille chanson à la radio.


Elle se revit, petite, sept ans peut-être. Une jupe en velours vert, cousue par sa grand-mère. Elle adorait cette jupe : elle tournait quand elle dansait. Et ce jour-là, elle dansait. Dans le salon. Spontanément. Pour le plaisir.


Elle se souvint très bien de la joie dans son ventre, du rire qui montait, de ses bras qui s’ouvraient, de ses pieds nus qui tapaient le parquet. Elle se souvenait aussi du journal déployé devant son père, de la vaisselle que sa mère faisait dans la cuisine. Et puis, cette phrase. Tombée comme une gifle sans contact :

— Tu peux faire ça dans ta chambre. Ce n’est pas une scène, ici.


Le ton n’était pas méchant. Pas vraiment. Mais il avait coupé court à tout.

Elle s’était arrêtée net. Le cœur serré. Et cette certitude, plantée en elle comme une graine empoisonnée : exprimer sa joie… dérange.


Depuis, elle avait dansé moins souvent. Moins fort. Moins librement. Puis plus du tout.

Et pas seulement la danse. Elle avait commencé à se taire, à se plier, à demander pardon en permanence. Pardon d’avoir des émotions. Pardon d’avoir un corps. Pardon d’exister, tout simplement.


Cette honte d’être trop. D’être là. D’être visible. Elle s’était glissée partout.


À l’adolescence, elle s’excusait quand elle pleurait. À la fac, elle baissait les yeux quand elle riait trop fort. Dans sa vie adulte, elle faisait attention à ne pas respirer trop fort dans une pièce pleine.

Tout en elle disait : "Ne me voyez pas." Et, paradoxalement : "Aimez-moi quand même."


Un jour, dans une salle d’attente, elle était tombée sur un dépliant. Atelier de danse intuitive. Juste en dessous, cette phrase : "Exprimer par le corps ce que les mots n’osent pas dire."


Elle l’avait glissé dans son sac. Il était resté des semaines coincé entre deux reçus de courses. Puis un soir, elle l’avait ressorti. Et contre toute attente… elle s’était inscrite.


C’était un dimanche. Une petite salle de quartier. Une dizaine de femmes. Pas de miroir. Pas de consignes strictes. Juste une invitation : "Laissez-vous bouger."


Au début, elle était crispée. Paralysée même. Son corps semblait figé dans une armure invisible.


Mais autour d’elle, les autres bougeaient. Lentement. Chaleureusement. Sans jugement. Et une musique douce s’éleva. Un rythme lent. Presque primitif.


Alors, elle ferma les yeux. Elle respira. Et elle laissa faire.

Un bras d’abord. Puis l’autre. Un balancement de hanches. Un frémissement d’épaules.


Et soudain, sans prévenir, des larmes. Des larmes épaisses, chaudes, qui montaient du ventre. Elle ne savait pas pourquoi elle pleurait. Mais elle savait que c’était juste. Que c’était nécessaire.


Après l’atelier, elle resta un moment sur le trottoir. Le corps détendu, les joues salées, mais le cœur plus calme que jamais.


Elle pensa : "Je n’ai pas à me faire pardonner d’exister." Et cette pensée ne la fit pas fuir. Elle resta avec elle.


Le soir-même, elle se déshabilla sans éteindre la lumière. Un geste banal. Mais immense. Elle se regarda. Vraiment. Pas pour juger. Pour rencontrer.


Elle posa une main sur son ventre. Sur ses seins. Sur ses hanches. Et elle murmura : — Tu es là. Et tu n’as pas à t’excuser.


Elle ne savait pas encore si elle allait danser à nouveau. Mais elle savait qu’elle ne voulait plus s’enfuir d’elle-même.


Ce n’était pas une scène, ce soir-là. C’était une réconciliation. Et pour la première fois, elle sentit qu’elle pouvait être chez elle… dans son propre corps.


Chapitre 7

JE PREFERE M'OCCUPER DES AUTRES


Julie l’avait appelée en pleurs. Encore. La voix entrecoupée de sanglots, de colère, de fatigue.

— Émilie, j’en peux plus, tu peux venir ce soir ? Il faut que je parle à quelqu’un, vraiment. Je vais exploser.


Émilie avait regardé l’heure. Elle venait à peine de rentrer. Elle avait préparé un bain. Son plateau-repas attendait sur la table basse. Un film choisi avec soin, une robe de chambre douce, la promesse d’un moment rien qu’à elle.


Elle avait pensé à dire non. Juste une fois. Pour elle. Mais la phrase était montée d’elle-même, comme une habitude gravée dans les muscles :

— Bien sûr. Je passe dans une heure.


Elle avait raccroché. Et aussitôt, le soupir était venu. Un soupir long, douloureux. Un mélange de résignation et de colère.


Dans la salle de bain, elle avait regardé l’eau tiède se vider sans même y plonger un pied.

Son chat Miso s’était frotté à ses jambes, comme pour lui rappeler : tu avais prévu de t’occuper de toi ce soir.


Mais non. Encore une fois, elle avait plié. Cédé. Disparu derrière les besoins d’un autre.


Chez Julie, l’air était lourd. Boîte de mouchoirs vide, verres sales sur la table basse. Julie parlait sans arrêt, tournait en rond, s’effondrait, se relevait. Émilie hochait la tête. Servait du thé. Écoutait.

Mais quelque chose en elle résistait.


Elle regardait sa montre sans oser partir. Elle sentait la tension dans son dos, la colère dans sa gorge. Elle se sentait usée. Vidée. Invisible.


Elle s’entendit même penser :

« Je ne suis pas une station-service émotionnelle. »

Mais elle ne disait rien. Elle encaissait.


En rentrant chez elle, tard dans la nuit, elle avait mal. Partout. Physiquement. Émotionnellement. Moralement.


Elle se déshabilla lentement, sans lumière. Comme si même son reflet était de trop.

Dans son lit, elle resta longtemps les yeux ouverts. Et cette pensée revenait, comme un mantra inversé :

« Si je dis non, je suis égoïste. »


Elle se rappelait cette phrase de sa mère, souvent répétée, presque anodine :

— Sois gentille, ma chérie. Pense aux autres. C’est important.


Émilie avait été gentille toute sa vie. À s’en rendre malade.

Mais ce soir-là, quelque chose avait craqué. Juste une fissure. Mais une vraie.


Le lendemain, elle avait reçu un message de Julie :

— Merci encore. Tu m’as sauvée hier. T’es vraiment une perle. Je sais pas ce que je ferais sans toi.

Et soudain, cette phrase ne la toucha pas. Pas comme avant. Elle se sentit… exploitée. Et pas parce que Julie était mauvaise. Non. Juste parce qu’elle, Émilie, ne savait plus poser de limites.

Alors elle écrivit. Pas à Julie. Pas encore. Mais dans son journal. En lettres grandes, nettes, tremblantes :

« Je ne suis pas un refuge pour fuir mes propres besoins. »


Elle relut cette phrase dix fois. Puis elle s’enregistra, sur son téléphone. Sa propre voix disant :

« Ce soir, je dis non. Ce n’est pas contre toi. C’est pour moi. »


Elle pleura. Longtemps. Puis elle sourit. Un petit sourire. Un sourire fatigué. Mais vrai.


Et le soir suivant, quand Julie rappela, encore, elle laissa sonner. Puis elle envoya un message :

“Julie, ce soir j’ai besoin de temps pour moi. Je t’embrasse. Je suis là, mais pas maintenant.”

Pas de justification. Pas d’excuse.


Et ce soir-là, elle prit son bain. Elle mit de la mousse. Elle alluma une bougie. Elle mangea sur son canapé, avec les doigts, en regardant un film italien qu’elle adorait.


Et elle murmura :

« Ce n’est pas fuir. C’est revenir à moi. »


Ce n’était pas un non à Julie. C’était un oui à elle-même. Un vrai. Et elle n’avait pas besoin de se justifier pour ça.


Chapitre 8

JE MERITE CE QUI M'ARRIVE


Le blog vivait. Contre toute attente, contre toutes ses hésitations, il respirait.


Chaque semaine, Émilie y postait une recette. Parfois accompagnée d’un souvenir, parfois d’un mot d’humeur, souvent d’un soupir déposé entre les lignes.


Elle avait appris à ne plus chercher la perfection. Les photos étaient simples. Sans mise en scène. Juste ses mains, ses plats, sa cuisine vivante.


Et les commentaires arrivaient.


Des femmes surtout. Parfois des hommes. Des messages doux, étonnés, reconnaissants.

« C’est comme si tu cuisinais avec ton cœur. » « Merci d’oser. Tu me donnes du courage. » « On a l’impression que tu parles de nous. »


Émilie lisait tout. Chaque mot. Elle répondait, avec gratitude. Sans trop se dévoiler. Mais avec sincérité.


Elle n’était pas guérie. Elle avançait. Et pour la première fois, elle ne se sentait pas seule à marcher.


Jusqu’à ce jour.


Un mardi matin, en ouvrant sa messagerie, elle vit la notification. Un nouveau commentaire. Un pseudo ironique. Et ces mots, secs comme des lames :

« Encore une grosse qui se donne un genre. Tu devrais avoir honte. »


Elle resta figée. L’écran semblait flou. Ses doigts se refermèrent sur la souris. Son ventre se noua. Et les vieilles voix, celles qu’elle croyait avoir mises en sourdine, hurlèrent d’un coup :

Tu vois. Tu t’exposes. Et voilà. Tu mérites ce que tu récoltes. Qui tu es dérange.


Elle referma l’ordinateur. Brutalement. Puis elle se leva. Alla dans la salle de bain. Se regarda dans le miroir.


Et cette pensée, terrible, surgit : « Peut-être qu’il a raison. »


Elle n’en croyait pas vraiment un mot. Mais c’était là. Comme un poison ancien qui remontait.

Elle s’assit sur le bord de la baignoire. Longtemps. En silence. Puis elle posa la main sur sa poitrine. Ferma les yeux. Et murmura :

« Je ne veux plus croire ça. Je ne peux plus. »


Elle se leva. Revint à son bureau. Rouvrit le commentaire. Le relut. En tremblant. Puis elle cliqua sur "répondre".


Et elle écrivit :

« Ce blog s’adresse à celles et ceux qui ont faim. De cuisine. De douceur. De liberté. Si ce n’est pas ton cas, tu es libre de passer ton chemin. Mais ne viens pas salir ici ce que d’autres essayent de construire avec tendresse. »


Elle relut sa réponse. Plusieurs fois. Puis elle cliqua sur "envoyer".


Son cœur battait. Fort. Irrégulier. Mais vivant.


Ce soir-là, elle posta une nouvelle recette. Les cookies de son enfance. Ceux qu’elle faisait avec sa grand-mère, les doigts pleins de pâte, le cœur léger.


Elle accompagna la recette d’un texte. Pas une justification. Une vérité.

« J’ai longtemps cru que le plaisir devait être mérité. Qu’il fallait se battre pour y avoir droit. Aujourd’hui, je choisis de croire qu’il suffit parfois… de l’accueillir. Sans honte. »


Elle hésita. Puis ajouta, en bas du post :

« Le bonheur n’est pas un privilège. C’est un droit. Même pour les corps qu’on a trop souvent appris à détester. »


Le lendemain, elle reçut trente-sept messages. Tous bienveillants. Beaucoup d’entre eux évoquaient la honte. Et le soulagement de se sentir moins seul.


Une femme écrivit :

« Vous avez mis des mots sur ce que je n’ose même pas dire à mon miroir. Merci. »


Émilie pleura. Pas de rage. Ni de peur. Mais de gratitude.


Ce soir-là, elle se fit un chocolat chaud. Avec de la cannelle. Et de la crème. Beaucoup.


Et elle leva son verre fumant vers son reflet, dans la vitre noire de la fenêtre.

— À moi. Et à toutes celles qui se relèvent.


Elle avait toujours eu peur d’avoir l’air ridicule. Mais ce jour-là, elle comprit que le ridicule, c’était de ne pas oser. Et qu’il n’y avait aucune honte à se montrer… entière.


Epilogue


Le printemps avait gagné du terrain.Les fenêtres restaient ouvertes plus longtemps, et l’air portait déjà les promesses tièdes de l’été.Émilie marchait dans la rue, un carnet sous le bras, les cheveux détachés.Elle ne portait plus de noir.Aujourd’hui, elle avait choisi une robe à fleurs.

Pas pour plaire.

Mais parce qu’en l’enfilant, elle s’était trouvée jolie. Et c’était nouveau.


Elle allait lire un extrait de son blog à voix haute.Un petit cercle de parole dans une librairie de quartier, organisé autour de la “réconciliation avec le corps”.C’était Manon qui lui en avait parlé — oui, la même Manon à qui elle disait non, autrefois, par automatisme défensif.Aujourd’hui, elles se voyaient. Pas souvent. Mais sincèrement.

Sans faux semblant.

Avec de la place pour chacune.


Assise en première rangée, carnet ouvert, Émilie attendait son tour.Son cœur battait vite.Ses mains étaient moites.Elle se disait encore : Et si je bafouille ? Et si ma voix tremble ? Et si je rougis ?

Mais une autre voix, plus calme, plus ancrée, lui répondait :Et si ce n’était pas grave ?


Quand son nom fut appelé, elle se leva.

Elle sentit le tissu de sa robe glisser contre ses hanches, son ventre se soulever dans une respiration plus ample.

Elle marcha jusqu’au pupitre.

Pas à pas.

Pas sûre d’elle. Mais droite.


Elle leva les yeux.

Ils étaient une trentaine.

Personne ne riait.

Personne ne jugeait.

Alors elle lut.

Une page.

Puis une autre.


Elle parla de la honte, de la gourmandise, du silence, du droit à être vu·e sans devoir s’excuser.

Sa voix tremblait un peu au début.

Puis elle trouva son rythme.

Elle ne cherchait pas à impressionner.

Elle disait ce qui, longtemps, était resté coincé.


Et dans les yeux des autres, elle ne vit ni pitié, ni gêne, ni indifférence.

Elle vit l’écho.

La reconnaissance.

Ce reflet lumineux de ceux qui, eux aussi, ont un jour cru qu’ils devaient se faire oublier pour mériter leur place.


Quand elle termina, il y eut un petit silence.

Puis des applaudissements.

Et dans ce bruit-là, Émilie entendit quelque chose qu’elle n’avait jamais vraiment perçu avant :

le respect.


Pas celui qu’on accorde à celle qui se sacrifie.

Mais à celle qui s’est relevée.

À celle qui a cessé de plier.


Ce jour-là, elle comprit une chose :

Elle marcherait encore avec ses doutes.

Mais elle ne baisserait plus les yeux.

Car elle n’avait plus honte.

Et parce qu’au fond, elle savait désormais…qu’exister pleinement n’a jamais été un crime.

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