top of page

NOUVELLE / Ce que j’ai tenu trop fort

Dernière mise à jour : 29 mai

Quand résister finit par nous enfermer : le réveil de Thomas

Une Nouvelle de Gyl Falco



Chapitre 1 LE MASQUE DU MERITE


Il y avait chez Thomas une manière précise de poser les objets, une manière de marcher qui ne faisait pas de bruit, une manière de se lever à l’heure exacte, sans se demander s’il en avait envie. Ce n’était pas tant de la discipline — il n’y avait pas de joie là-dedans — que de la nécessité, viscérale, de tenir quelque chose droit, dehors, parce que dedans, tout risquait de glisser.

Il se croyait organisé. Il était en alerte permanente.


Tout devait être anticipé. Prévu. Calculé. Il connaissait par cœur les horaires de ses transports, les prévisions météo, les dates d’échéance de chaque facture. Son frigo n’avait jamais un aliment de trop, ni de périmé. Sa penderie n’abritait rien de superflu. Il possédait exactement le nombre de tasses nécessaires pour ne pas être débordé par une visite impromptue. Pas plus.


Ses journées étaient structurées à la minute. Chaque tâche était notée dans un agenda qu’il consultait presque compulsivement, même quand il savait déjà ce qui allait suivre. Il ne supportait pas d’être interrompu. Ni que les choses soient faites autrement que “comme il faut”. Il appelait ça le sens du détail. Les autres disaient parfois qu’il était “un peu raide”. Il se contentait de répondre qu’il n’aimait pas le désordre. Mais ce qu’il ne disait pas, c’est qu’un désordre, même minime, pouvait lui gâcher la journée.

 

Il était architecte. Un métier parfait pour un homme qui cherchait des angles nets, des équilibres maîtrisés, des structures rationnelles.


On saluait souvent sa rigueur, sa fiabilité, sa clarté. Il livrait toujours à l’heure, son travail était propre, réfléchi, complet. Il anticipait les imprévus, pensait aux scénarios B, vérifiait trois fois les plans avant de les soumettre. Il n’oubliait jamais rien. Mais on ne savait jamais ce qu’il ressentait.


Il parlait peu. Son visage restait impassible en réunion. Il n’interrompait jamais, mais on sentait que chaque mot qui sortait de sa bouche avait été pesé, filtré, approuvé. Il ne levait pas la voix. Il ne plaisantait pas, ou très rarement, et toujours à contretemps. Il ne se plaignait jamais. Il n’exprimait pas son désaccord frontalement. Mais on savait, à son silence, quand quelque chose ne lui convenait pas.


Il inspirait le respect . Mais on ne savait pas comment l’aimer.

 

Dans sa vie privée, c’était la même mécanique. Chaque décision était rationnelle. Chaque projet était analysé sous l’angle du risque, de l’efficacité, de la faisabilité. Il préférait rester seul que de devoir négocier ses habitudes.

Il avait eu deux relations sérieuses, toutes deux rompues avec le même reproche : “J’ai l’impression d’avoir été en couple avec ton exigence, pas avec toi.” Il n’avait pas su quoi répondre. Il croyait avoir fait tout ce qu’il fallait : il avait été présent, fidèle, prévoyant, organisé, jamais violent, toujours poli . Mais il n’avait jamais dit : j’ai peur que tu partes. Jamais laissé voir quand il se sentait dépassé, ou perdu, ou juste triste.


Il ne savait pas demander. Encore moins recevoir. Car au fond, il était convaincu que tout devait se mériter.

Cette conviction, il l’avait apprise tôt. Il ne s’en souvenait pas sous forme de scène. Plutôt comme une ambiance constante dans sa maison d’enfance.


Un père exigeant, silencieux, que rien ne semblait satisfaire vraiment. Une mère discrète, douce mais absente, trop occupée à ménager les humeurs de son mari pour réellement prendre soin.

Et Thomas, l’aîné, celui qui se tenait bien, qui ne faisait pas de vague, qui ramenait de bonnes notes, qui s’excusait d’exister quand il posait une question de trop.


Il avait compris très vite que ses besoins étaient une gêne, que ses émotions prenaient trop de place, que le monde ne le rendrait jamais juste, mais qu’il pourrait au moins le rendre cohérent.


Alors il avait décidé qu’il serait parfait. Ou du moins, irréprochable.

 

À quarante-deux ans, il vivait seul. Il mangeait seul. Il passait ses week-ends à ranger, planifier ses semaines, entretenir son corps, vérifier ses comptes. Il ne supportait pas les retards. Ni les silences non expliqués. Ni les imprévus. Une réunion annulée au dernier moment pouvait le mettre dans un état d’agacement profond, qu’il ne montrait pas, mais qu’il ruminait pendant des heures.


Il s’endormait difficilement. Son mental ne s’arrêtait jamais. Il rejouait les conversations, les décisions, les risques à venir. Il avait parfois mal à la nuque, aux trapèzes, au ventre. Mais il n’y prêtait pas attention. Il appelait cela la tension du sérieux. Et il se disait : c’est comme ça la vie adulte.


Mais ce qu’il ne savait pas encore, c’est que cette rigidité, ce besoin de tout tenir, n’était pas une nature. C’était une réponse à la peur. Une carapace tissée pour survivre dans un monde où il avait trop souvent eu la sensation que s’il lâchait, il tomberait. Que s’il se montrait tel qu’il était, il ne serait pas reconnu. Pas accueilli. Pas aimé. Et dans cette peur, l’injustice se rejouait sans cesse : il donnait tout, il tenait tout, et pourtant, il n’était pas vu. Pas choisi. Pas considéré à sa juste valeur.

 

Un matin, quelque chose se fissura.


Une scène banale : une réunion d’équipe. Un collègue plus jeune, plus “à l’aise”, plus spontané, présenta un projet sur lequel Thomas avait travaillé en amont. Pas une mention de son nom. Pas un mot sur son implication. Des compliments du directeur, des sourires autour de la table, et lui, figé, à l’intérieur, comme un enfant oublié dans la cour d’école.


Il ne dit rien. Bien sûr. Mais quelque chose, ce jour-là, se fêla. Et dans cette fêlure, pour la première fois depuis longtemps, une question remonta, nue, sans défense :

À quoi bon tout tenir, si je ne suis pas vu ?

Chapitre 2

LA FISSURE


Ce matin-là, Thomas s’était levé un peu plus tôt que d’habitude. Non pas parce qu’il était en retard, mais parce que son sommeil avait été trop léger, fragmenté, agité. Comme si son corps lui avait rappelé, malgré lui, que quelque chose était déjà en tension.


Il avait vérifié deux fois l’heure de la réunion. Il avait relu les notes. Imprimé un dossier au cas où. Prévu un double exemplaire. Repassé en tête les arguments clés. Il savait tout, ou presque. Mais cela n’avait rien d’apaisant. C’était sa façon d’exister : préparer, prévenir, prévoir. Il ne laissait rien au hasard. Pas par goût de l’anticipation. Mais parce que le hasard, pour lui, était une menace.


Arrivé au bureau, il s’était installé avec la même précision que chaque jour : ordinateur centré, carnet à gauche, stylo aligné, tasse de café noir à bonne distance pour ne pas risquer de tacher les papiers. Il ne parlait pas en arrivant. Il ne demandait pas comment allaient les autres. Il attendait qu’on lui parle — et si possible, de choses utiles.


9h30. Tout le monde s’installe en salle de réunion.

Le directeur entre, suivi du client. Quelques sourires, des poignées de main. Thomas salue, brièvement. Il déplie son dossier. Mais très vite, quelque chose cloche.


C’est David, le plus jeune, celui qu’il a formé, qui prend la parole. Il commence la présentation. Thomas reconnaît chaque plan, chaque détail, chaque idée. C’est son travail, ou du moins, un travail qu’il a en grande partie construit dans l’ombre.

Et pourtant, personne ne le mentionne.


Le directeur parle de “la belle énergie du pôle jeunes talents”. Le client félicite David pour “sa vision”. Les collègues hochent la tête. Et Thomas… reste silencieux.


Aucune crispation visible. Son visage est neutre. Mais en lui, c’est la panique froide.


Tout remonte. Non pas comme une colère explosive, mais comme un nœud de vide. Ce sentiment d’être oublié, effacé, malgré tous ses efforts. Ce sentiment d’injustice fondamental : j’ai tout donné, j’ai fait les choses dans les règles, j’ai été irréprochable, et pourtant je ne reçois rien. Pas même la reconnaissance de base.


Ce vieux goût amer qu’il connaît trop bien : “Je fais tout bien. Et ce n’est jamais suffisant.”


Il avait déjà vécu cela, à l’école, quand il travaillait dur mais que c’était toujours l’élève plus extraverti qu’on félicitait. Chez lui, quand il aidait sans relâche, sans jamais une parole tendre en retour. L’injustice, pour Thomas, n’était pas une exception. C’était un air familier.


Mais il ne dit rien. Il ne réagit pas. Il note, mécaniquement, des mots dans son carnet, qu’il relira plus tard sans les comprendre.


Il ne veut pas faire de vague. Il préfère se taire.C’est son automatisme. S’effacer plutôt que déranger.Même quand il souffre.

 

En sortant de la réunion, il retourne à son bureau. Il ne parle à personne. Il ne demande pas d’explication. Il ne confronte pas. Il ravale. Il s’adapte. Comme toujours.


Mais dans son ventre, un feu s’est allumé. Et ce feu, il ne sait pas comment l’éteindre.


Il essaie de se concentrer. Il ouvre un fichier, le ferme. Il relit un mail, sans le comprendre. Il pense à l’appel qu’il doit faire, mais ne le fait pas. Ses épaules se contractent. Sa respiration devient courte. Il se bat intérieurement pour ne pas montrer ce qui le traverse.


Vers 13h, il sort. Il dit qu’il va marcher un peu. Personne ne pose de question. Personne ne sait.


Il marche longtemps. Dans les rues, les oreilles pleines de bruit, les pensées qui tournent en boucle. Il ne voit pas les passants. Il rumine.


“Je me suis encore fait avoir.” “Je n’ai pas été assez clair.” “J’aurais dû prendre la parole.” “C’est injuste. Mais à quoi bon le dire ?” — cette phrase le traverse comme un poison lent. Il sait qu’il pourrait parler, réclamer, revendiquer. Mais il en est incapable. Car dans son monde intérieur, l’injustice est la règle. Et ceux qui protestent ne sont pas écoutés.


Il ne pleure pas. Pas encore. Il ne crie pas. Jamais. Il se contracte. Encore. Comme il l’a toujours fait.

 

Le soir, chez lui, tout est en place. Comme d’habitude. Le manteau suspendu. Les chaussures alignées. Les lumières tamisées. Le dîner simple. Un plateau, une serviette, un verre. Tout est net. Impeccable. Contrôlé.


Mais en lui, tout est en désordre.


Il s’assoit dans le canapé. Il ne met pas de musique. Il ne lit pas. Il regarde le mur. Son cœur bat trop vite. Sa gorge est serrée. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il n’a pas de mot. Seulement cette fatigue. Cette lassitude immense d’avoir toujours dû “faire juste” pour ne jamais être vu.


Et là, sans prévenir, les larmes viennent.

Pas un sanglot. Pas une explosion. Juste des larmes lentes. Denses.

Comme si son corps, sans lui demander son avis, décidait enfin de parler.

Il ne les arrête pas. Il ne les justifie pas.Il les laisse couler.

Et dans ce silence-là, une fissure s’ouvre.

Pas un effondrement.Une ouverture.

La première.

 

Chapitre 3 LE DEBUT DU FLECHISSEMENT


Les jours qui suivirent furent étranges, flottants. Thomas faisait tout pour que rien ne change, en apparence. Il se levait à la même heure. Il rangeait soigneusement le bol du petit déjeuner dans l’évier, plaçait les dossiers dans le bon ordre, vérifiait les factures, répondait aux mails dans les temps, validait les projets avec clarté. Tout semblait fonctionner.


Mais à l’intérieur, plus rien ne suivait.


Il n’arrivait plus à se motiver comme avant. Ce qui autrefois lui donnait le sentiment d’exister — un planning maîtrisé, une suite de tâches accomplies, une réunion bien menée — lui semblait vide. Il remplissait encore les cases, mais ne se sentait plus dedans.Comme s’il jouait un rôle dont il connaissait chaque réplique par cœur, mais dont il avait oublié le sens.


Il ressentait plus de choses, sans savoir les nommer.De l’agacement. De la lassitude. Une fatigue lourde, difficile à justifier. Une forme de dégoût discret, non pour les autres, mais pour cette mécanique trop bien huilée qui ne lui laissait plus d’air.


Et, surtout, ce sentiment latent et récurrent d’injustice : celui d’avoir toujours fait tout "comme il faut", d’avoir été le garant de la structure, le pilier, sans jamais recevoir la reconnaissance émotionnelle qui allait avec. Il avait toujours cru que l’équité se gagnait. Mais elle semblait échapper à ceux qui s’efforçaient de trop bien faire.


Et pourtant, son premier réflexe, fidèle à lui-même, fut de chercher à comprendre.


Il passa une soirée à lire des articles sur la fatigue professionnelle. Il surligna des phrases. Il se dit que c’était peut-être un “syndrome d’épuisement discret”, une “baisse de motivation cyclique”, une “crise passagère”. Il fit des listes de ce qui allait, de ce qui n’allait pas. Il programma une séance de sport, doubla les fruits dans son alimentation, téléchargea une application de méditation.Il voulait gérer sa perte de sens comme on corrige un tableau Excel.

Mais le malaise ne passait pas.

 

Un soir, en scrollant distraitement sur son ordinateur, il tomba sur une vidéo. Le titre l’arrêta net :“Et si votre besoin de maîtrise était une réponse à une blessure invisible ?”

Il hésita. Ferma l’onglet. Le rouvrit. Regarda les premières secondes. Une femme parlait doucement.

Elle décrivait les profils rigides avec une justesse troublante :

“Les personnes très organisées, fiables, performantes, qui ne laissent rien au hasard, peuvent sembler solides. Mais souvent, elles ont appris très jeunes qu’il valait mieux tenir que sentir. Leur rigidité n’est pas un choix. C’est une protection.”


Thomas se raidit. Il sentit son ventre se contracter. Puis une phrase tomba, comme une clé : “La rigidité n’est pas un caractère. C’est un traumatisme figé.”

Il mit pause.

Ce mot : figé. Il le connaissait trop bien. Il était figé dans ses gestes, dans ses relations, dans son corps. Et il comprenait, pour la première fois, que ce n’était pas de la force. C’était de la peur durcie.

 

Il passa la soirée à écouter, lire, chercher. Pas frénétiquement. Mais avec une forme de curiosité nouvelle. Non plus pour corriger. Mais pour sentir où ça coinçait.

Et au milieu d’un site à l’esthétique simple, sans fioritures, il tomba sur un encadré discret :

“Stage résidentiel : retrouver le mouvement intérieur.Pour ceux qui ont appris à tenir, et ne savent plus comment fléchir.”

Ce mot, encore : fléchir.

Il eut un sursaut de défense mentale : Ce n’est pas pour moi. Ce genre de trucs, ce sont des gens perdus qui pleurent en cercle.Puis une autre voix, plus fine, plus douce, s’infiltra : Et si tu étais, toi aussi, un homme qui a oublié comment on plie sans se trahir ?

Il ferma l’ordinateur. Mais la question resta.Elle tourna toute la nuit.

 

Le lendemain, sans le dire à personne, sans vraiment y croire, il remplit le formulaire d’inscription. Il posa trois jours. Motif : temps personnel.

Il n’en parla pas. Pas même à lui. Il mit cela de côté. Comme un simple écart dans le programme.

Mais au fond, quelque chose en lui avait déjà lâché.

Il ne savait pas ce qui l’attendait. Mais il savait qu’il ne pouvait plus continuer à se tenir comme avant.

Chapitre 4

LE MUR INTERIEUR


L’endroit était plus sobre qu’il ne l’avait imaginé. Pas de décor new age, pas de citations inspirantes sur les murs, pas de coussins bariolés ou de musique d’ambiance. Juste une grande maison de pierre, posée là comme un ancien refuge, entourée d’arbres nus et de silence. Tout était calme, net, presque austère. Un cadre qui aurait pu lui convenir… s’il ne s’était pas senti aussi démuni à l’intérieur.


À peine arrivé, il avait scanné les lieux : la disposition des pièces, les visages, les issues de secours. Il n’en avait pas conscience, mais c’était son réflexe naturel : s’assurer que tout était cadré, lisible, compréhensible. Il repéra le tableau des horaires, nota mentalement les heures des repas, évalua le ton de voix de l’animatrice. Tout en lui cherchait des repères. Des balises. Un territoire à cartographier. Parce que ne pas savoir où il allait mettait en péril tout son équilibre interne.

Mais ici, il n’y avait rien à prévoir.

Le programme était donné à voix basse, presque en retrait. “Aujourd’hui, vous pouvez vous reposer, ou marcher, ou écrire. Rien n’est obligatoire. Juste, soyez là.”Cette phrase le heurta plus qu’il ne voulait l’admettre.Il ne savait pas “être là”.Il savait “faire”.“Réussir.”“Répondre à une attente.”Mais “être là”, sans mission, sans but, sans correction possible… c’était une étrangeté radicale.

 

Il passa l’après-midi dans sa chambre, à demi allongé, le carnet fermé sur les genoux. Il regardait le mur blanc, le sol nu, la fenêtre aux carreaux un peu ternes. Et il ruminait. Pas bruyamment. En sourdine.


“Qu’est-ce que je fous là ?”“Pourquoi j’ai payé pour ça ?”“Ils vont nous faire faire quoi, demain ? Des jeux de rôle ridicules ?”“J’espère qu’ils ne vont pas me forcer à parler.”


Cette pensée tournait en boucle. Il avait peur de devoir se montrer. Pas dans ses réussites. Dans ses fragilités. Et derrière cette peur, une autre plus sourde : celle de revivre l’injustice d’être jugé, non pas sur ce qu’il donnait, mais sur ce qu’il était. D’être regardé de travers pour avoir été imparfait. Fragile. Différent. Il avait souvent vécu cela enfant : des regards sévères pour un mot de travers, des remarques sur "ce qui aurait pu être mieux" au lieu de félicitations.

 

Le lendemain, un atelier était proposé. Simple. Apparemment inoffensif.

“Deux par deux. Asseyez-vous l’un en face de l’autre. Et regardez-vous.Cinq minutes. Sans parler. Sans commenter. Sans détourner le regard.Juste, laissez l’autre vous voir.Et observez ce que cela fait.”

Thomas sentit immédiatement le mur se dresser en lui.Regarder un inconnu. Le laisser le regarder. Sans parole.Sans écran.Sans rien à faire.C’était insupportable.

Mais il ne dit rien. Il n’avait jamais su dire non, vraiment.

Il s’exécutait. En bon élève. Même ici.

Il s’assit face à une femme d’une cinquantaine d’années, le regard franc, le visage calme. Elle ne souriait pas, mais ne fuyait pas non plus. Elle le regardait avec une sorte de neutralité tendre, comme si rien en lui ne la dérangeait, ne la séduisait, ne lui faisait peur.

Et ce regard-là, sans attente, sans évaluation, sans commentaire, fut un choc.

Les premières secondes, il tenta de garder le contrôle. Il fixa un point entre ses deux yeux, comme pour éviter le contact réel. Il croisa les bras. Il se redressa. Il tenta de “tenir” la posture, comme s’il fallait réussir l’exercice.

Mais très vite, son corps trahit sa tension.Ses épaules montèrent.Ses mâchoires se contractèrent.

Son souffle devint irrégulier.

Et elle, toujours là.

Simplement là.

Présente.

Pas intrusive. Pas curieuse.Juste… ouverte.


Alors quelque chose céda.

Pas une crise.

Pas un effondrement.

Une micro-ouverture, imperceptible pour qui ne savait pas regarder.

Il sentit son ventre se relâcher d’un millimètre.

Son regard s’adoucir.

Ses bras, posés sur ses cuisses, s’ouvrir légèrement.Il ne regardait plus pour éviter.

Il regardait pour être là.


Et il comprit, en silence, à quel point il avait eu peur d’être vu, toute sa vie. Vu sans être jugé. Vu sans avoir à prouver. Vu sans qu’on lui dise que ce n’était pas assez. Il n’en revenait pas qu’un regard puisse ne rien exiger, simplement être là. C’était l’opposé exact de cette justice conditionnelle à laquelle il avait été soumis.


À la fin des cinq minutes, elle posa sa main sur son cœur, puis doucement, la laissa flotter un instant entre eux. Il fit de même. Pas par politesse. Mais parce que quelque chose en lui avait été touché.

 

Ce soir-là, dans sa chambre, il écrivit :

“On m’a regardé.Et je n’ai pas eu besoin d’être parfait pour ça.J’ai toujours cru qu’il fallait être impeccable pour mériter l’attention.Mais peut-être que le regard véritable ne se mérite pas. Il se reçoit.”

Il ferma le carnet.

Et, pour la première fois depuis des années, il dormit d’un seul souffle.

 

Chapitre 5

L'ENFANT OUBLIE


Le matin se leva comme un drap qu’on soulève lentement. La lumière était douce, légèrement dorée, glissant sur le rebord de la fenêtre comme une caresse discrète. Thomas s’était réveillé sans sursaut, mais avec une forme de densité dans la poitrine. Pas une angoisse. Pas une pensée claire. Plutôt une sensation ancienne, une mémoire sans images, un poids flou qu’il n’arrivait pas encore à nommer.


Il descendit sans parler. Il ne salua pas. Pas par impolitesse, mais parce qu’il sentait que s’il parlait trop tôt, quelque chose se refermerait. Il prit une tasse. Il s’assit à l’écart. Il regardait les autres sans vraiment les voir. Son corps était là. Mais son intériorité, elle, était en train de descendre d’un étage.


À dix heures, un atelier d’écriture fut proposé. Le thème : “Écrivez à l’enfant que vous avez été.”  À l’instant même où il entendit la consigne, une vague de résistance monta en lui.

Il n’aimait pas ce genre d’exercice. Il les avait toujours jugés “trop émotionnels”, “pas concrets”, “intéressants pour les autres, pas pour moi”. Mais cette fois, il ne quitta pas la salle. Il prit la feuille.Il tint le stylo. Et il attendit.

Rien ne vint, d’abord. Puis un mot. Puis une phrase. Et tout à coup, le corps écrivit pour lui.

 

“Petit, je t’ai laissé derrière. Pas parce que je ne t’aimais pas. Parce que j’ai cru qu’on ne t’aimerait jamais, toi, comme tu es. J’ai cru qu’il fallait que tu sois fort, sérieux, utile. Alors je t’ai dressé. J’ai tiré sur ton rire pour le faire taire. J’ai corrigé ton geste avant qu’il ne déborde. J’ai serré tes émotions dans des poings invisibles.

Et tu m’as écouté. Tu t’es tenu droit. Tu as fait ce qu’on attendait de toi.

Mais je sais que tu es fatigué, petit. Fatigué de mériter.Fatigué d’être impeccable. Fatigué de devoir être sage pour être aimé.

Tu peux revenir maintenant. Je ne veux plus t’obliger à te taire. J’ai besoin de toi. De ta lumière. De ton mouvement. De ta tendresse.”


Les mots s’étaient écrits sans qu’il les réfléchisse. Et quand il les relut, il ne put les retenir : les larmes. Pas des sanglots. Des pleurs simples, fluides, calmes. Comme si l’enfant qu’il avait figé revenait, doucement, dans ses bras d’homme.


Il resta assis longtemps, même après la fin de l’atelier. Il ne voulait pas parler. Mais il ne fuyait plus. Il se sentait triste et vivant à la fois.


En rentrant dans sa chambre, il posa la feuille sur le lit. Il la relut encore.

Puis il se coucha un instant, sans bouger, et pour la première fois, il se rappela une scène enfouie : Un dessin, fait à six ans. Un dragon, une forêt, un soleil. Il l’avait montré à son père. Celui-ci l’avait à peine regardé.

“Tu peux mieux faire. Ton soleil est trop gros.”Et lui, ce jour-là, avait décidé qu’il ne montrerait plus rien qui ne soit parfait.


C’était ça, la première grande injustice. Une parole lancée sans malveillance mais qui l’avait condamné à devoir toujours "faire mieux" pour être vu. Et à force de chercher à être irréprochable, il s’était perdu.


Il comprit, là, que sa rigidité n’était pas un tempérament. C’était un réflexe de survie.

Il n’avait pas été écouté. Pas pleinement vu. Il avait été jugé sur ce qu’il produisait, pas sur ce qu’il était. Et depuis, il avait tout fait pour ne plus jamais être pris en défaut.


Mais ce que ce jour d’écriture lui révélait, c’est qu’il n’avait plus envie de lutter contre sa sensibilité .Qu’il voulait redevenir un homme qui ressent, pas seulement un homme qui tient.


Ce soir-là, dans le jardin, il observa un enfant — celui d’un couple voisin venu saluer brièvement le groupe — courir pieds nus dans l’herbe mouillée. L’enfant riait sans raison. Tombait, se relevait. Il n’avait ni pudeur, ni masque. Il était simplement là, vibrant.


Et Thomas sentit que quelque chose, en lui, lui ressemblait à nouveau.


Chapitre 6

LE SOUFFLE RETROUVE


Le lendemain, il n’y avait rien au programme. Pas d’atelier. Pas de consigne. Rien.

Juste une indication, écrite à la craie sur un petit panneau posé dans l’entrée : “Aujourd’hui : être, et voir ce que cela fait.”

Il lut la phrase sans froncer les sourcils. Sans soupirer. Sans sourire non plus. Mais en lui, quelque chose acquiesça.


Il sortit tôt, une couverture sous le bras, un carnet dans la poche. L’air était vif mais tendre, le ciel d’un bleu calme, sans éclat. Il traversa le petit bois derrière le moulin, trouva un coin d’herbe un peu abrité, déroula la couverture et s’y assit.Il n’attendait rien. Il n’avait pas d’objectif. Et pour la première fois depuis longtemps, cela ne l’inquiétait pas.


Autrefois, dans une telle situation, il aurait rempli le vide. Il aurait ouvert un livre. Consulté son téléphone. Écrit une liste. Cherché un sujet à méditer. Il aurait voulu optimiser le moment.

Mais là, il laissait simplement le vent passer sur ses bras, le soleil venir lui chauffer la nuque, le silence l’envelopper sans rien demander en retour.


Spontanément, il posa une main sur son thorax, l’autre sur son ventre. Il inspira lentement par le nez, sans forcer. Puis il expira par la bouche, comme pour laisser s’échapper ce qu’il retenait depuis toujours.Trois fois. Cinq fois. Dix peut-être. Il ne comptait plus. C’était le corps qui guidait. Pas la tête.

Il sentit les épaules s’abaisser, le front se lisser. Et dans ce vide-là, il redécouvrit quelque chose qu’il avait oublié : le goût d’être vivant sans performance.

 

Vers midi, il retourna vers la maison. Le repas était servi en silence, comme souvent ici. Il s’assit sans choisir de place. Il prit ce qu’il y avait. Il mangea lentement. Pas par principe. Par envie. Il sentit les textures, les températures, les goûts. Il mâchait pleinement. Il avalait sans précipitation. Il était dans son corps.

Il remercia d’un regard. Il ne chercha pas à parler. Ni à éviter les regards. Il était là. Entier. Simple. Respirant.


L’après-midi, il alla marcher. Il ne prit pas de carte. Autrefois, cela aurait été impensable : sortir sans savoir le trajet, sans planifier le retour, sans vérifier la météo. Mais là, il marcha.

Il suivit des chemins qu’il ne connaissait pas. Il s’arrêta souvent. Pour écouter un oiseau. Pour toucher une écorce. Pour regarder une flaque. Chaque pause était une permission : Tu peux t’arrêter sans raison.Tu peux ralentir sans perdre.Tu peux ressentir sans contrôler.

Par moments, il fermait les yeux. Debout, immobile. Il écoutait les sons lointains, les bruissements, les pas, le silence. Il faisait ce qu’on lui avait appris dans un atelier quelques jours plus tôt :“Laisser la vie passer à travers soi sans la diriger.”

Pas de but. Pas de tension. Juste le plaisir d’être là où il était.

Et dans ce geste si simple, il comprit ce qu’il avait cherché toute sa vie sans l’oser : Non pas la perfection, Non pas la maîtrise, Mais la paix du souffle.

 

En rentrant, il croisa une femme qu’il avait peu remarquée jusque-là. Elle était assise sur un banc. Elle le regarda. Il la salua. Elle sourit.

— Tu rentres de balade ? — Oui… et je ne sais même où j’étais. — C’est bon signe, alors.

Ils restèrent là un moment, sans parler davantage. Le silence n’était plus un mur. C’était une forme de lien.

 

Le soir, dans sa chambre, il écrivit une seule phrase :

“Je ne suis plus dans la lutte aujourd’hui.Et je découvre que l’on peut vivre sans devoir tenir tout le temps.”


Il referma le carnet. Il s’allongea. Et avant de s’endormir, il posa une main sur son ventre. Ce n’était plus un territoire tendu. C’était un lieu habité.

 

Chapitre 7

LE RETOUR AVEC SOI


Le train glissait à travers la campagne comme un trait de silence sur une toile humide. Thomas, assis côté fenêtre, regardait sans chercher à penser. Il ne s’évadait pas. Il ne projetait pas. Il était là. Simplement là. Un sac sur les genoux, les mains calmes, le souffle régulier.


Le retour, autrefois, aurait été un stress anticipé. Il aurait déjà prévu ce qu’il devait rattraper, les mails à traiter, les points à revoir. Il aurait senti monter cette pression sourde de “reprendre le contrôle”.


Mais là, aucune tension ne revenait.

Non qu’il ait tout lâché. Mais il n’avait plus envie de se crisper.

 

Son appartement l’attendait, fidèle à lui-même.Propre. Ordonné. Comme il l’avait laissé. Mais quelque chose dans cet ordre lui sembla… moins nécessaire. Non pas faux. Mais inutilement dur.

Il ne bouleversa rien. Il ne jeta pas ses carnets, ne décrocha pas les étagères. Mais il rangea moins vite. Il respira plus longtemps devant la fenêtre ouverte. Il n’éprouvait plus le besoin de remplir l’espace. Le vide ne lui faisait plus peur.Il n’était plus son ennemi.

 

Le lendemain, au bureau, tout semblait identique. Les mêmes mails. Les mêmes visages. Les mêmes phrases convenues.

Mais lui, il n’était plus dans le même endroit intérieur.


Un collègue fit une remarque sèche. Avant, Thomas se serait refermé. Il aurait ruminé toute la journée. Là, il accueillit le désaccord sans se rigidifier. Il répondit calmement, sans froideur. Et surtout, il ne resta pas accroché. Il ne s’y identifia pas.


Un rendez-vous fut annulé à la dernière minute. Il sentit l’ancienne crispation monter. Mais il sourit intérieurement. Et il décida d’aller marcher quelques minutes dehors, plutôt que de s’énerver contre le vide. Il était encore traversé par ses anciens réflexes. Mais il n’était plus à leur merci.

 

Un soir, il retrouva un ami dans un petit café. Avant, il aurait cherché à paraître détendu. À poser des questions intelligentes. À éviter les silences gênants.

Mais ce soir-là, il se montra tel qu’il était. Il dit que ces derniers jours avaient changé quelque chose en lui, sans entrer dans les détails. Il parla moins. Mais il parla vrai.

Son ami l’écouta. Et lui dit simplement :

— Tu dégages quelque chose de plus doux. T’as pas changé. Mais t’es plus… je sais pas… poreux.

Thomas ne répondit pas. Mais il sentit que le mot était juste.

 

Chez lui, il alluma une bougie. Il s’assit dans le silence. Il n’attendait rien. Il n’espérait pas un moment spécial. Il goûtait le fait d’être là, sans tenir quoi que ce soit.

Il repensa à cette phrase entendue au moulin, restée gravée sans qu’il le sache :

“Il n’y a pas besoin d’être parfait pour être digne.Il suffit d’être vrai.”

Il souffla la bougie. Et dans la pénombre, il se sentit pleinement vivant.


Chapitre 8

L'EAU SAIT COMMENT PASSER


Il faisait gris ce matin-là. Pas lourd. Pas orageux. Juste ce genre de gris sans nuance, comme un papier humide qui recouvre tout sans bruit. Thomas arriva plus tôt que d’habitude, sans raison particulière. Il avait mal dormi, non pas à cause d’un problème précis, mais d’une agitation diffuse, comme une petite houle intérieure.


En ouvrant sa boîte mail, il sentit aussitôt que quelque chose clochait.

Un message, sec, impersonnel : “Réunion à 9h. Priorité haute. Revue du projet Équinoxe.”

Le projet Équinoxe, c’était son chantier. Celui qu’il portait depuis six semaines.

Mais l’expéditeur n’était pas son responsable direct. C’était un manager d’un autre service.Sans bonjour. Sans explication.

Il sentit un frisson lui traverser l’estomac. Pas de peur. Une vieille alerte. Celle qu’il avait toujours ressenti face à l’injustice déguisée.

Il ouvrit les pièces jointes. Nouveau planning. Nouvelle répartition. Son nom figurait à peine. Le projet avait été redistribué. Reconfiguré. Sans qu’on ne le consulte. Sans qu’on le prévienne.


Avant, une telle situation aurait provoqué en lui une tornade silencieuse.Il aurait contenu. Ruminé. Il aurait analysé chaque phrase. Recherché la faille. Cherché à prouver. Il aurait nourri un ressentiment glacé pendant des jours, sans jamais vraiment exprimer ce qu’il ressentait. Et s’il avait parlé, il l’aurait fait avec cette maîtrise tranchante, coupante, qui laisse l’autre sec et confus.

Mais ce matin-là, il sentit la tension monter… puis redescendre.

Il n’avait plus envie de se battre. Pas par faiblesse. Par lucidité.

 

Il alla marcher quelques minutes dans la cour intérieure. Le ciel bas. Le vent léger. Quelques feuilles mortes traînaient au sol, emportées sans volonté. Il pensa à l’eau. À ce qu’il avait appris là-bas. À cette souplesse qui ne fuit pas, mais contourne. Qui avance, sans heurter.


Il revint. Il répondit au mail. Posément. “Bonjour, je découvre ces modifications ce matin. Je souhaite en parler avec vous afin de comprendre les choix faits, et voir comment je peux contribuer utilement à la suite . Merci de me proposer un créneau.”

Il relut. Il n’effaça rien. Il n’ajouta rien. Et il l’envoya. Sans se contracter.


À 9h, il entra dans la réunion. Le ton était technique. On évoqua les délais, les répartitions, les ressources. Thomas écouta. Il ne fit pas semblant d’être d’accord. Mais il ne s’opposa pas non plus avec l’ancienne rigidité. Il posa des questions précises. Il parla peu. Mais chaque mot était ajusté.


À la fin, le manager le remercia. Un vrai merci. Surpris, peut-être, de ne pas l’avoir vu s’opposer frontalement comme d’autres l’auraient fait.

Mais ce que le manager ignorait, c’est que Thomas avait changé de posture intérieure.

Il n’avait plus besoin d’avoir raison pour exister.Il voulait avancer sans se perdre.


En sortant, il sentit une forme de calme nouveau. Il n’était pas “content”. Mais il était en paix.

Il n’avait ni nié l’injustice, ni crié sa colère. Il avait choisi le mouvement juste, sans crispation.

Et dans ce mouvement, il comprit que la force ne se mesure pas à l’intensité de la réaction. Elle se mesure à la capacité d’habiter l’instant sans le durcir.

 

Le soir, en rentrant, il s’assit au bord du lit. Il enleva ses chaussures lentement. Il pensa à ce qu’il aurait fait, deux mois plus tôt. Et il sourit.

Puis il écrivit, presque comme une prière :

“Je ne veux plus résister à tout.Je veux laisser passer ce qui ne m’appartient pas. L’eau ne fuit pas. Elle traverse. Et moi aussi, maintenant, je sais comment passer.”


Epilogue


Il était samedi matin.

Pas de réveil. Pas d’obligation. Pas de liste à cocher.

Juste la lumière douce qui traversait les stores, projetant sur les murs des lignes mouvantes, comme des respirations lentes. Thomas s’étira sans urgence. Il resta un long moment allongé, les yeux ouverts, à écouter les bruits du dehors. Des pas, des oiseaux, une porte qu’on claque plus bas, un chien qui aboie.


Avant, ces sons l’auraient irrité. Ils auraient troublé la pureté silencieuse de son rituel matinal. Aujourd’hui, ils faisaient partie de la vie. Et la vie, il ne cherchait plus à l’isoler.


Il se leva, marcha pieds nus jusqu’à la cuisine. Prépara du café, sans automatisme. Il sortit une poêle, un œuf, quelques tomates. Pas pour bien manger. Pour se faire du bien.


Il mit de la musique. Une chanson ancienne. Il n’avait pas pensé à elle depuis longtemps. Et sans prévenir, il se mit à fredonner. Pas fort. Mais avec une sorte de chaleur dans la poitrine. Une présence qui ne demandait rien.

Il s’assit. Il mangea lentement. Pas de journal. Pas de notifications. Juste lui. Son bol. Le soleil sur la table.

Et dans ce silence-là, il sentit que tout était juste.


Un message vibra.

“Randonnée demain ? 8h30. On part tôt. Rien de rigide 😉”

C’était un ami. Un de ceux qu’il avait laissés entrer depuis quelque temps. Un homme calme, drôle, sans prétention, avec qui les silences étaient aussi nourrissants que les mots.


Thomas rit doucement en lisant la fin du message.“Rien de rigide.” Il aurait pu s’en agacer, autrefois.Mais là, il répondit simplement :

“Avec plaisir. Je prends le café.”

Il referma son téléphone. Il alla s’asseoir au bord de la fenêtre. Il regarda les immeubles, les plantes sur les balcons, les passants. Il ne voulait rien d’autre. Il ne manquait rien.

Il posa une main sur sa poitrine. Et comme un écho doux, une pensée monta. Pas une pensée mentale. Une pensée vivante.

“Je suis encore traversé par mes anciennes peurs. Mais je ne leur obéis plus. Je suis encore raide, parfois. Mais je me soigne.Un souffle après l’autre.”

 

Il resta là longtemps. Et dans ce rien, dans cette simple humanité tranquille, il sut qu’il était chez lui. En lui.

Enfin.

Comments


© 2016 by GYL Alternatives. Mises à jour Décembre 2024.

Created with Wix.com

Crédit photos : Canva et unsplash.com.

GYL

N'interrompez jamais votre traitement sans demander l'accord de votre médecin, le travail d'un magnétiseur est un complément thérapeutique qui ne peut se substituer à un avis ou un traitement médical.

bottom of page