top of page

NOUVELLE / Ce que j’attendais de l’autre, je l’ai trouvé en moi

Dernière mise à jour : 29 mai

Quand aimer cesse de faire mal : le chemin d’Anaïs

Une Nouvelle de Gyl Falco



Chapitre 1 LE VIDE


C’est toujours dans les silences qu’elle paniquait. Dans ces espaces entre deux messages, entre deux attentions. Anaïs connaissait trop bien ce sentiment : l’attente. L’attente qui colle au ventre, qui fait battre le cœur trop vite pour rien. Ce matin-là, elle fixait son téléphone. L’icône ne bougeait pas. Pas de message. Pas de "tu me manques". Pas de preuve qu’elle existait dans l’esprit de celui qu’elle croyait aimer.


Elle soupira, posa l’appareil sur la table, puis le reprit vingt secondes plus tard. L’écran était toujours aussi muet. Un vide si bruyant qu’il couvrait tout le reste : son envie de sortir, de travailler, même de manger. Tout semblait suspendu à ces quelques mots qu’elle attendait.

Ce n’était pas la première fois. Depuis l’adolescence, Anaïs avait appris à lire dans les silences, à leur prêter mille intentions, à interpréter chaque délai comme une trahison silencieuse. Et pourtant, elle restait. Elle espérait. Parce que dans son imaginaire, l’amour ressemblait à ça : une tension permanente, une incertitude romantisée, une faim qu’elle devait apprendre à supporter.


Ce matin-là, elle revoyait les heures passées à actualiser une conversation, à vérifier si le message avait été lu, à se demander si son dernier mot avait été mal pris. Et plus elle doutait, plus elle avait envie de relancer. Encore un message. Encore une phrase tendre. Un sourire numérique qu’elle envoyait comme on lance une bouteille à la mer.


Mais elle se savait déjà dans un déséquilibre. Un lien où elle donnait trop, trop tôt, trop vite. Où chaque geste était un appel déguisé : « Vois-moi. Choisis-moi. Rassure-moi. »


La relation dans laquelle elle était — si tant est qu’on puisse parler de relation — avait commencé quelques semaines plus tôt. Julien. Un regard intense, une voix grave, une douceur distante. Dès le début, Anaïs avait senti ce tiraillement en elle : un mélange d’attirance et de malaise. Mais elle l’avait ignoré. Elle avait voulu croire. Elle avait idéalisé les moments partagés, même si les silences devenaient déjà fréquents.


Julien n’était pas cruel. Il n’était pas froid. Il était simplement ailleurs. Et Anaïs, en face, cherchait à capter son attention comme une fleur cherche le soleil dans un ciel couvert. Elle se surprenait à formuler des excuses pour ses absences, à minimiser son propre ressenti, à se dire que c’était elle, peut-être, qui en demandait trop.


Mais au fond d’elle, une autre voix murmurait. Une voix qu’elle avait souvent étouffée : celle qui lui disait qu’elle méritait plus. Pas plus de réponses. Plus de considération. Plus de réciprocité.


Ce matin-là, Anaïs se leva, alla jusqu’à la fenêtre et ouvrit les volets. Dehors, la ville s’éveillait lentement. Elle regarda les passants. Certains riaient, d’autres couraient. Et elle, elle attendait. Elle attendait qu’un homme décide qu’elle valait un message.


Elle eut alors une image fulgurante : elle, petite fille, assise sur le canapé du salon, fixant la porte d’entrée, attendant que son père rentre et lui dise qu’il l’aime. Il ne l’avait jamais fait. Il était là, oui. Mais distant. Silencieux. Occupé. Elle avait appris très tôt que l’amour, c’était ça : espérer, patienter, mériter.


Cette mémoire lui serra la gorge. Ce n’était pas Julien qu’elle attendait. C’était ce père qui n’avait jamais vu sa peine. Ce père qui ne s’était jamais rendu compte qu’en la négligeant, il lui avait appris à mendier.


Anaïs ferma les yeux. Une larme coula. Une larme de reconnaissance. Elle comprenait. Enfin. Que ce vide qu’elle ressentait n’était pas d’aujourd’hui. Qu’il était ancien. Ancré. Et qu’elle le rejouait, encore et encore, dans chaque relation où elle se donnait sans compter, espérant qu’on lui donne un peu en retour.


Elle prit une grande inspiration. Puis une autre. Son cœur battait fort, mais différemment. Moins dans l’angoisse. Plus dans une prise de conscience.


Ce matin-là, elle ne renvoya pas de message. Elle prit son téléphone et le posa dans une autre pièce. Elle alla faire couler un bain, alluma une bougie, et s’assit au bord de la baignoire. Elle se regarda dans le miroir. Pas pour se juger. Pour se voir. Vraiment.

Et doucement, elle murmura : « Tu n’as plus besoin de courir. Tu n’as plus besoin de quémander. »


Elle ne savait pas encore comment faire. Elle n’avait pas de plan, pas de solution miracle. Mais elle venait de poser la première pierre : celle de la conscience. Et à partir de ce moment, quelque chose avait changé. Elle le sentait. Ce matin-là, Anaïs avait cessé d’attendre qu’on la sauve. Elle avait commencé à se rejoindre.


Chapitre 2

LES MEMES GESTES


Chaque relation qu’Anaïs avait vécue semblait être une répétition de la précédente, comme si elle jouait inlassablement le même rôle dans une pièce qu’elle n’avait pas écrite. Et dans ce rôle, elle était toujours la donneuse. Celle qui devance les besoins. Celle qui écoute avant qu’on parle. Celle qui s’oublie pour que l’autre reste.


Elle avait appris à repérer les silences, les non-dits, les humeurs changeantes. Elle s’adaptait, se modelait, se faisait douce, légère, agréable. Anaïs croyait que l’amour, c’était mériter. Et pour mériter, il fallait faire des efforts. Des gestes. Des preuves. Toujours plus.


Elle préparait des surprises, écrivait des mots doux, se rendait disponible à toute heure. Même lorsqu’elle était fatiguée. Même lorsqu’elle avait besoin d’autre chose. Elle mettait ses envies de côté, convaincue que l’amour, le vrai, c’était de se donner sans compter.


Mais plus elle donnait, moins elle recevait. Et plus elle s’attachait, moins l’autre semblait impliqué. Ce paradoxe l’épuisait. Elle ne comprenait pas pourquoi elle finissait toujours seule, déçue, éteinte, alors qu’elle avait tout fait pour que ça fonctionne.


Un jour, lors d’une séance avec sa thérapeute, elle décrivit cette sensation : « C’est comme si je dansais seule sur une piste vide, espérant que quelqu’un vienne me rejoindre. » La thérapeute l’avait regardée avec douceur et lui avait dit : « Peut-être que tu choisis inconsciemment ceux qui ne veulent pas danser. »


Ce jour-là, quelque chose s’était fissuré.

Elle réalisa qu’elle poursuivait un scénario bien connu : celui où elle donnait tout dans l’espoir qu’on reste. Mais à force de se suradapter, elle attirait des personnes qui prenaient sans rendre. Qui aimaient sa présence sans s’engager. Qui profitaient de sa lumière sans jamais s’inquiéter de ses ombres.


Un souvenir d’enfance lui revint. Elle devait avoir huit ans. Elle préparait un dessin pour son père, un collage qu’elle avait mis des heures à composer. Elle le lui tendit avec un grand sourire. Il lui répondit à peine, distrait, absorbé par un appel téléphonique. Elle attendit un compliment. Un mot. Il n’y en eut pas.


Ce jour-là, elle avait appris que donner ne suffisait pas à être vue. Mais au lieu de s’en détourner, elle avait décidé d’en faire plus. De mieux faire. Encore et encore.

Et ce schéma, elle l’avait transposé dans ses amours.


Avec Paul, elle préparait des dîners, écrivait des lettres, organisait des week-ends. Il oubliait les dates, répondait par monosyllabes. Elle le défendait devant ses amis : « Il est comme ça, il a du mal à montrer. »


Avec Thomas, elle écoutait ses peurs, ses projets, ses silences. Lui ne lui posait jamais de questions. Elle le trouvait mystérieux. Elle l’appelait profond. En vérité, il était simplement absent.


Avec Léo, elle avait cru trouver un miroir. Mais il se referma dès qu’elle parla de ses besoins. Elle baissa le ton. Se fit discrète. Invisible. Et il s’éloigna quand même.

Alors elle avait fini par croire que c’était elle le problème. Qu’elle aimait trop. Qu’elle était trop. Trop sensible. Trop présente. Trop entière. Elle se dit qu’il fallait changer. Devenir plus légère. Moins exigeante.


Mais au fond, elle sentait que ce n’était pas ça. Ce n’était pas sa façon d’aimer qui était trop. C’était l’endroit où elle déposait cet amour qui n’était pas le bon.


Elle se mit alors à observer. À revoir ses gestes. À noter comment, dès les premiers échanges, elle se projetait, idéalisait, offrait sans que l’autre ait rien demandé. Elle se rendit compte qu’elle faisait tout pour créer un lien… avant même de savoir si l’autre en voulait un.

C’était comme si elle jetait des ponts dans le vide. Et qu’elle se blessait en tombant à chaque fois.


À partir de cette prise de conscience, Anaïs commença à se retenir. Non pas à se fermer. Mais à se respecter.


Elle se dit : « Je n’ai pas besoin de prouver que je mérite d’être aimée. Mon amour n’est pas une dette que je dois rembourser à l’avance. »


Elle prit alors une décision simple mais radicale :

Ne plus être la seule à nourrir le lien. Observer. Ressentir. Recevoir aussi. Et surtout : ne pas s’oublier dans le processus.


Ce fut difficile. Les automatismes revenaient vite. Elle avait encore envie d’écrire la nuit. De faire plaisir. De devancer les envies de l’autre. Mais chaque fois qu’elle le faisait, elle s’arrêtait. Elle respirait. Elle se demandait : « Pourquoi je fais ça ? Pour qui ? Pour quoi ? »


Et petit à petit, elle changea. Ses gestes restèrent doux, mais plus alignés. Ses attentions restèrent sincères, mais plus conditionnées par l’attente d’un retour.


Elle commençait à danser, non pas pour qu’on la rejoigne, mais parce qu’elle aimait danser. Et ça changeait tout.

 


Chapitre 3 L’OMBRE DE L’ENFANCE


Ce fut lors d’un atelier d’écriture thérapeutique qu’Anaïs prit la mesure du poids de son passé. Le thème du jour : "Racontez votre premier souvenir de solitude." Les mots lui vinrent vite, comme une coulée de lave qu’elle n’avait jamais osé laisser jaillir.


Elle écrivit d’un trait :

« Je suis assise sur le tapis de la chambre. Il fait presque nuit. Ma mère m’a dit de rester là. Mon père est dans le salon. Il parle fort au téléphone. Je n’ose pas bouger. J’attends qu’il me regarde. Qu’il m’appelle. Mais il ne le fait pas. Il passe devant la porte, me jette un coup d’œil vague. Puis il s’éloigne. Comme si je n’existais pas. »


Lorsqu’elle lut son texte à voix haute, sa gorge se serra. Les autres l’écoutaient en silence. Elle, elle sentait une boule dans le ventre. Comme si cette enfant de cinq ans était encore là, figée dans un coin de sa mémoire.


Elle comprit, ce jour-là, que sa dépendance affective ne venait pas de ses ex. Ni même de ses choix. Elle venait de loin. De cette toute petite fille qui n’avait pas appris à recevoir l’amour. Qui avait appris à le guetter, à le mériter, à l’attendre. Et à chaque fois qu’elle ne l’obtenait pas, elle pensait que c’était de sa faute.


Son père n’était pas un homme méchant. Il était juste distant, absorbé, ailleurs. Un homme fatigué par la vie, par les non-dits, par ses propres blessures non réglées. Anaïs, petite, n’avait pas compris cela. Elle n’avait vu qu’une chose : son absence.


Elle avait alors développé une stratégie : être parfaite. Sage, brillante, obéissante. Elle ne pleurait pas, ou très peu. Elle se disait que s’il la voyait sans faire de bruit, peut-être finirait-il par s’approcher. Mais il ne le faisait pas. Et elle, silencieusement, en avait tiré la conclusion la plus tragique pour un enfant : "Je ne mérite pas d’attention. Je dois faire plus."


Plus tard, cette croyance devint une injonction silencieuse. Dans chaque relation, elle rejouait ce scénario d’enfant invisible. Elle attirait des partenaires qui lui rappelaient, consciemment ou non, cette figure absente. Et à chaque fois, elle se remettait en marche : elle écoutait, elle s’effaçait, elle attendait, elle pardonnait. Elle revivait cette scène originelle, encore et encore, comme si son inconscient voulait enfin en changer la fin.


Mais on ne guérit pas une blessure en la rejouant à l’infini. On la guérit en la regardant en face.


Lors d’une séance de visualisation guidée, sa thérapeute l’invita à retrouver cette petite Anaïs. Elle ferma les yeux. Elle la vit, clairement. Assise sur le tapis. Petite, les genoux repliés, les mains sur les jambes. Immobile. Résignée.

Elle s’en approcha mentalement. Lentement. Elle s’agenouilla face à elle. Et doucement, elle lui parla.


— Je te vois. Je suis là maintenant. Tu n’as plus besoin d’attendre. Tu n’as rien à prouver.

La petite Anaïs leva les yeux. Dans ses pupilles, une peur ancienne, une attente infinie. Anaïs tendit les bras. L’enfant hésita, puis se blottit contre elle. Et elle sentit, dans cette étreinte symbolique, des années de silence se dissoudre.


Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle pleurait. Pas de tristesse. De reconnaissance. Elle venait de retrouver une part d’elle-même qu’elle n’avait jamais accueillie.


Dans les semaines qui suivirent, elle continua ce travail intérieur. Chaque fois qu’elle se sentait envahie par l’attente, le doute, la peur de perdre l’autre, elle fermait les yeux. Elle revoyait la petite fille. Et elle lui parlait. Elle lui disait :

— Tu es digne d’amour, même si personne ne te regarde. Tu es digne, simplement parce que tu es.


Peu à peu, cette voix devint sa propre voix intérieure. Elle remplaça le jugement par la douceur, l’urgence par la présence. Et quelque chose en elle s’apaisa.


Elle comprit que cette blessure d’enfance ne disparaîtrait peut-être jamais totalement. Mais elle n’était plus aux commandes. Elle n’était plus la seule à parler.


Aujourd’hui, Anaïs savait que pour aimer sainement, elle devait d’abord aimer cette part d’elle-même qui, pendant si longtemps, n’avait cherché qu’à être aimée.


Chapitre 4

LE BASCULEMENT


Julien n’était pas différent des autres, et pourtant c’est avec lui que tout avait basculé.

Leur histoire avait commencé doucement. Quelques échanges sur les réseaux, un café partagé, puis une soirée qui s’était prolongée. Anaïs avait été séduite par son calme, sa façon de l’écouter d’un air absent. Il semblait mystérieux, posé, presque insaisissable. Exactement le genre d’homme vers lequel elle était irrésistiblement attirée.


Très vite, elle s’était laissée emporter. Les messages, les appels, les projets de week-end, les mots doux. Mais de son côté, Julien restait évasif. Pas de "nous", pas de certitudes. Il répondait parfois dans l’heure, parfois dans la journée, parfois pas. Anaïs adaptait ses attentes. Elle s’autorisait à moins. Moins de présence. Moins de réponse. Moins de respect.

Elle se souvenait d’un soir, particulièrement froid, où elle avait attendu trente minutes devant le cinéma. Julien n’était jamais venu. Il avait oublié. Elle était rentrée seule. Elle avait pleuré dans le métro. Puis le lendemain, lorsqu’il s’excusa avec un sourire et un « J’ai eu une semaine de dingue », elle avait hoché la tête. Et elle avait pardonné.


C’était ça, son schéma. Elle aimait fort, vite, sans limites. Et elle excusait. Elle espérait que l’autre finirait par voir, par comprendre, par rendre tout ce qu’elle donnait.


Mais un soir, tout s’arrêta. Une conversation, presque banale. Elle venait de lui dire qu’elle aimerait passer plus de temps avec lui. Qu’elle avait envie de se sentir « un peu plus considérée ».


Il avait haussé les épaules.

— Tu es trop intense, Anaïs. Moi, je vis les choses plus simplement.

Ce fut un coup. Sec. Pas violent. Juste clair. Comme une porte qui se referme doucement mais définitivement.

Elle ne répondit pas. Elle regarda Julien, son visage tranquille, presque gêné. Puis elle se leva.

— Je crois qu’on ne se comprend pas, dit-elle simplement.

Et elle partit.


Ce soir-là, dans la rue, quelque chose en elle se déchira. Pas le cœur. Pas la tristesse. Non. Une peau. Une vieille couche. Celle qu’elle portait depuis l’enfance. Celle de la fille qui reste. Qui s’excuse. Qui attend.


Elle marcha longtemps. Elle sentit la colère monter, mais pas contre Julien. Contre elle. Contre tout ce qu’elle avait accepté. Contre tout ce qu’elle avait tu.

Arrivée chez elle, elle s’assit dans le noir. Elle n’avait pas besoin de lumière pour voir. Tout était limpide.


Elle prit un carnet, celui où elle écrivait rarement. Et elle traça ces mots :

« Je ne veux plus mendier. Je ne veux plus offrir mon amour à ceux qui n’ont même pas la place pour l’accueillir. Je ne veux plus quémander l’attention, l’affection, le respect. Je veux me retrouver. Me choisir. Me suffire. »


Elle relut cette phrase plusieurs fois. Elle pleura. Mais ce n’était plus des larmes de douleur. C’était des larmes d’élan. Le cœur s’ouvrait. Quelque chose d’autre voulait naître.


Le lendemain, elle coupa les notifications de son téléphone. Elle ne chercha pas à réécrire à Julien. Elle n’écrivit pas à ses amis pour raconter ce qui s’était passé. Elle n’avait plus envie d’être validée dans son rôle de victime. Elle avait envie de guérir.


Ce basculement, elle le sentit physiquement. Moins de tension dans la nuque. Moins d’attente dans le ventre. Plus de respiration.


Elle ne savait pas encore ce que signifiait « se choisir » exactement. Mais elle savait ce que cela n’était plus : ce n’était plus s’adapter à l’indisponible. Ce n’était plus minimiser ses besoins. Ce n’était plus interpréter le moindre geste comme une promesse.


Ce soir-là, elle alluma une bougie. Elle s’assit en silence. Et elle fit un pacte avec elle-même : ne plus s’abandonner pour être aimée.

Ce fut le vrai début de sa reconstruction.

 

Chapitre 5

LA REPARATION


Les semaines qui suivirent le départ d’Anaïs de l’appartement de Julien furent silencieuses. Mais pour une fois, ce silence n'était pas inquiétant. Il était plein. Riche. Habité. C'était le silence du recentrage.


Elle n’avait pas repris contact. Ni avec lui, ni avec ceux d’avant. Pas pour se punir, mais parce qu’elle ne voulait plus chercher à combler le vide extérieur. Elle avait décidé d’habiter le sien. D’y planter des racines.


Elle se leva chaque matin sans regarder son téléphone. Elle se prépara du thé, prit le temps de respirer, de s’étirer. Elle redécouvrait son corps, ses rythmes, ses besoins simples. Des gestes minuscules, mais puissants. Elle écrivait chaque jour dans un carnet : "Ce que j’attends des autres, je me l’offre."


Un jour, elle écrivit :

« Aujourd’hui, je me choisis. Même si personne ne le fait. Surtout si personne ne le fait. »

Elle s’inscrivit à un cycle d’accompagnement thérapeutique. Il ne s’agissait plus de comprendre, mais de transformer. Elle avait déjà mille fois décortiqué ses schémas. Ce dont elle avait besoin maintenant, c’était de se rééduquer intérieurement. De poser de nouveaux repères.


Lors d’un atelier de groupe, le thème du jour était : Qu’est-ce que s’aimer soi-même ?

Elle resta longtemps silencieuse. Puis, la gorge un peu nouée, elle répondit :

— Pour moi, c’est me parler comme je parlerais à quelqu’un que j’aime. C’est arrêter de me juger dès que je ressens quelque chose. Et c’est poser des limites. Même si j’ai peur qu’on me quitte pour ça.


Les mots avaient du mal à sortir, mais à mesure qu’ils prenaient forme, elle sentait leur vérité vibrer dans tout son corps.


La réparation, elle le comprit, n’était pas un acte spectaculaire. C’était une série de gestes intimes, répétés, incarnés. C’était se regarder dans le miroir et ne pas détourner les yeux. C’était rester chez soi un samedi soir sans se dire qu’on est seul(e) parce qu’on est nul(le). C’était répondre « non » sans se justifier.


Elle commença à réécrire son histoire affective. Elle fit une liste : les moments où elle s’était trahie. Les situations où elle avait attendu en silence. Les phrases qu’elle n’avait pas osé dire. Elle les relut. Puis, une par une, elle réécrivit ce qu’elle aurait aimé répondre. Elle ne le fit pas pour corriger le passé, mais pour honorer la version d’elle qui n’avait pas pu s’exprimer à temps.


Elle se parla souvent à haute voix. Elle se disait :

— Tu as le droit d’être aimée sans faire d’effort. Tu n’as rien à prouver. Tu es digne, même quand tu ne fais rien.


Ces phrases, elle les murmura comme on récite des mantras. Pas pour se convaincre. Pour réparer. Pour reprogrammer cette part d’elle qui avait grandi dans le manque.


Elle reprit aussi contact avec son corps. Elle suivit un atelier de mouvement intuitif. Elle dansa sans miroir, sans musique parfois. Elle laissa son corps parler à sa place. Il disait : "J’ai été figé. J’ai été contenu. Maintenant je veux m’exprimer."


Le soin de soi devenait sacré. Elle alluma des bougies pour elle, pas pour créer une ambiance romantique. Elle acheta des fleurs, pour sa table de nuit. Elle cuisina avec lenteur, même seule. Parce qu’elle n’était plus une transition entre deux liens. Elle était une destination.


Parfois, la vieille douleur revenait. En voyant un couple dans la rue. En recevant un message impersonnel d’un ex. En entendant une chanson. Mais elle ne fuyait plus. Elle posait une main sur son cœur, et elle murmurait :

— Oui, ça fait encore un peu mal. Et c’est normal. Je suis là. Je reste.

Elle était devenue sa propre présence rassurante. Celle qu’elle avait toujours attendue. Et dans ce miroir intérieur, elle découvrait un nouveau visage d’elle-même : plus stable, plus doux, plus vrai.


La réparation n’était pas linéaire. Il y eut des soirs de doutes, de larmes, de solitude. Mais il y avait aussi cette conscience nouvelle : Je suis sur le bon chemin. Je suis revenue vers moi.

Et chaque pas qu’elle faisait vers elle-même, elle le sentait : elle ne mendiait plus. Elle s’aimait.


Chapitre 6

L’AUTONOMIE DU CŒUR


Un matin de mars, Anaïs se réveilla dans un silence intérieur qu’elle n’avait encore jamais connu. Ce n’était pas une absence. Ce n’était pas un vide. C’était une paix. Une clarté. Comme si son cœur avait cessé de chercher, juste un instant.


Elle ouvrit les yeux, et au lieu de tendre la main vers son téléphone comme elle l’aurait fait auparavant, elle resta allongée. Elle sentit la lumière douce du jour filtrer à travers les rideaux, la chaleur des draps contre sa peau. Et elle pensa : Je suis bien.


Ce n’était pas un grand bonheur, ni un moment d’euphorie. C’était un équilibre. Un ancrage. Pour la première fois, Anaïs se sentait remplie sans avoir besoin de rien d’extérieur. Elle ne cherchait pas un message, un rappel, une validation. Elle ne guettait plus.


Elle se leva, fit couler de l’eau chaude pour un thé, s’installa sur le canapé. Elle observa la vapeur monter, ses mains entourer la tasse. Ce geste, si simple, devenait une offrande. À elle-même. Elle était là. Entière. Présente. Et elle se suffis.


Elle se souvenait d’une époque pas si lointaine où le moindre instant de solitude déclenchait une panique. Où elle appelait, textait, sortait, pour ne pas se retrouver face à elle-même. Elle comprenait maintenant que cette fuite l’éloignait de la seule personne qui ne la quitterait jamais : elle.


Ce jour-là, elle écrivit dans son carnet :

« Ce que je cherchais dans les bras des autres, je suis en train de le construire avec moi. »

Elle ne rejetait plus l’amour. Elle ne s’enfermait pas dans la solitude comme dans une carapace. Mais elle ne le recherchait plus pour combler un manque. Elle le souhaitait comme une expansion, pas comme une réparation.


Elle commença à revoir ses relations passées avec un regard neuf. Pas de haine, pas de regret. Juste de la lucidité. Elle comprenait les erreurs. Les projections. Les attentes démesurées. Elle comprenait aussi les silences de ses partenaires, leurs limites. Elle ne les idéalisait plus. Elle ne se blâmait plus non plus.


Elle avait arrêté de se juger pour avoir aimé. Pour avoir trop donné. Trop attendu. Elle se disait : J’ai fait du mieux que je pouvais avec ce que je savais alors. Et ce pardon intérieur, cette tendresse envers elle-même, étaient les signes d’une véritable autonomie affective.


Elle apprit à s’offrir ce qu’elle demandait autrefois. De la présence : en se rendant disponible à elle-même. De l’écoute : en écrivant, en méditant, en accueillant ses émotions sans les fuir. Du respect : en posant des limites claires, même avec ses proches. Et surtout, de la constance : en restant là, avec elle, même quand elle allait mal.


Elle redécouvrit le plaisir d’être seule. Elle marcha longuement dans la nature, observa les feuilles, les oiseaux, les mouvements du vent. Elle se reconnecta au vivant. Et elle sentit qu’elle faisait partie de quelque chose de plus grand, de plus stable que ses relations humaines éphémères.


Un jour, en lisant un livre, elle tomba sur cette phrase : « Le véritable amour commence quand l’attente cesse. » Elle ferma le livre et sourit. C’était exactement ça. Elle n’attendait plus d’être aimée pour se sentir en vie. Elle l’était déjà.


Cette autonomie du cœur n’était pas une fermeture. C’était une ouverture solide. Elle savait qu’elle pouvait aimer encore. Mais elle ne s’y perdrait plus. Parce qu’elle avait retrouvé le centre. Et qu’à ce centre, il y avait elle. Stable. Présente. Souveraine.

Et cela changeait tout.

 

Chapitre 7

LE RENOUVEAU


C’est au détour d’une conversation anodine qu’Anaïs rencontra Hugo. Pas un coup de foudre. Pas un choc. Un échange simple, clair, posé. Elle était dans une librairie, feuilletant un roman qu’elle hésitait à acheter. Il s’était approché, avait fait une remarque amusante sur l’auteur. Elle avait souri, ils avaient parlé livres, puis d’eux sans vraiment le dire.


Ils se revirent. Un café, une promenade, un déjeuner sans attente. Pour la première fois, Anaïs n’avait rien projeté. Elle n’avait pas cherché à séduire, à plaire, à contrôler l’image qu’elle donnait. Elle était juste elle. Présente. Authentique. Tranquille.


Hugo n’était pas un homme parfait. Mais il était là. Clair dans ses mots. Disponible dans ses gestes. Il ne promettait rien de grandiose. Il proposait juste sa sincérité. Et cela, Anaïs le sentait, valait bien plus que tous les discours.


Elle remarqua un changement profond en elle : elle ne se demandait plus sans cesse ce qu’il pensait. Elle n’attendait pas le message du matin pour se sentir aimée. Elle ne se demandait pas comment agir pour qu’il reste. Elle se demandait juste si elle était bien, si elle se sentait respectée, si le lien était vivant.


Un soir, ils dînèrent ensemble. Il la regarda longuement et lui dit :

— Ce que j’aime chez toi, c’est que tu n’essaies pas de me convaincre. Tu es là. C’est simple. Et c’est précieux.

Elle sentit une émotion monter. Parce que ces mots, elle les attendait depuis longtemps. Pas de lui. De la vie. De son propre cœur.


Elle se souvint de toutes les fois où elle avait tenté de se rendre aimable, de se modeler pour entrer dans le cadre de l’autre. Et là, avec Hugo, elle n’avait rien forcé. Rien justifié. Elle s’était présentée telle qu’elle était. Et cela avait suffi.


Ce renouveau, ce n’était pas la rencontre avec un autre. C’était la rencontre avec elle-même, visible à travers le regard de quelqu’un qui ne cherchait pas à la changer. Et elle comprit : ce n’est pas l’autre qui nous sauve, c’est l’amour qu’on accepte de se porter enfin qui rend les rencontres possibles.


Elle ne savait pas si cette histoire allait durer. Mais elle savait qu’elle ne reviendrait plus en arrière. Qu’elle ne se braderait plus. Qu’elle ne s’abandonnerait plus.

Elle avait appris à aimer. Vraiment. En s’incluant elle-même dans l’équation.

 


Epilogue


Un matin d’avril, Anaïs s’assit à sa table, son carnet entre les mains. Elle le feuilleta, relut ses anciens mots, ceux écrits dans les larmes, dans le doute, dans la colère douce et la tendresse nouvelle. Elle se sentit émue. Non pas de nostalgie, mais de gratitude.


Gratitude envers elle-même. Envers ce chemin intérieur qu’elle avait eu le courage d’emprunter. Envers cette part d’elle qu’elle avait enfin choisie de voir, de soigner, d’aimer.

Elle n’était plus la femme qui mendiait l’amour. Elle était devenue celle qui s’offrait d’abord ce qu’elle attendait des autres. Et dans cette transformation, elle avait gagné bien plus qu’un apaisement : elle avait trouvé une forme de liberté.


Elle savait qu’il y aurait encore des jours gris, des doutes, des nostalgies. Mais elle ne se perdrait plus dans ces zones d’ombre. Elle y déposerait de la lumière, la sienne. Elle ne confierait plus son cœur à des mains fermées. Elle ne poserait plus ses espoirs sur des regards absents.


Elle était là. Présente à elle-même. Entière.


Ce jour-là, elle écrivit la dernière page de son carnet :

« Aujourd’hui, je ne cours plus après l’amour. Je le marche, lentement, à mon rythme, en me tenant la main. »


Puis elle ferma le cahier, sourit à la fenêtre grande ouverte, et s’apprêta à sortir. Le monde n’avait pas changé. Mais elle, oui. Et ça changeait tout.

 

Comments


© 2016 by GYL Alternatives. Mises à jour Décembre 2024.

Created with Wix.com

Crédit photos : Canva et unsplash.com.

GYL

N'interrompez jamais votre traitement sans demander l'accord de votre médecin, le travail d'un magnétiseur est un complément thérapeutique qui ne peut se substituer à un avis ou un traitement médical.

bottom of page